04 avril 2016

Pape

Baiser la vie

A toi qui veilles sur l’ombre de mes nuits, je dédie cet air qui me vient d’un très beau matin ou j’ai laissé courir mon âme dans les blés.
Insouciant, irradié par la magie de l’été.
Cœur de pierre, ciel ouvert, adolescent amoureux d’une sorcière aux seins blancs
Loin des fureurs, loin des errances de l’ennui.
Comme un aviateur dans un ascenseur qui s’envole vers l’infini.
Aie du cœur, aie du cœur, baise la vie
Fais la jouir à en pâlir d’envie jusqu’à que ce que la mort la surprenne dans ton lit ; noyé de désir, hurlant de plaisir,
Prise entre jour et nuit.
Oh, à toi qui meurs de trop aimer la vie, je dédie cet air venu d’un éternel chagrin ou le destin m’a condamné à errer, incertain sur les chemins de l’oubli.
Laisses le temps, impatient, tuer ta douleur et dis toi qu’il n’est pas de plus grand malheur que de laisser mourir le rire dans ton cœur.
A ta dernière peur, comme un déserteur, donnes ta vie à mort.
Et  dis toi qu'il n'est pas de plus grand malheur que de laisser mourir le rire dans ton coeur.

Jacques HIGELIN


Juste une petite phrase


"Vouez à l'oubli vos tristes souvenirs, et gardez seules vos belles mémoires présentes."
Xavier de Montépin, 1859








Fluidité


Ainsi lundi passa, puis mardi, mercredi, jeudi même. Sur les deux habitants de la chambre pesait comme un linceul fait de silence et d’actions coutumières : manger, parler, rester immobile sur le sofa. Flush se tournant et se retournant au cours d’un sommeil agité rêvait qu’ils étaient couchés côte à côte sous les fougères et les feuillages d’une vaste forêt. Tout à coup, les feuillages s’écartèrent, et il s’éveilla. Il Faisait sombre. Flush vit pourtant Wilson entrer dans la chambre à pas de loup, prendre le sac sous le lit et l’emporter silencieusement. C’était la nuit du vendredi 18 septembre. Tout le samedi matin il garda l’immobilité des êtres qui savent qu’à chaque instant un mouchoir peut tomber, un sifflement léger venir à leurs oreilles pour donner le signal de vie ou de mort. Il regarda s’habiller Miss Barrett. A quatre heures moins le quart la porte s’ouvrit ; Wilson entra. Alors le signal fut donné - Miss Barrett prit Flush dans ses bras. Elle se leva et marcha vers la porte. Un instant, tous deux immobiles, firent des yeux le tour de la chambre. Le sofa - le fauteuil de Mr Browning - les bustes - les tables. Le soleil filtrait à travers les feuilles de lierre, et le store, où des paysans marchaient, très doucement, oscillait dans la brise. Tout était à l’ordinaire. Tout semblait espérer de l’avenir un million d’oscillations semblables ; et cependant, pour Miss Barrett, pour Flush, c’était bien la dernière. Sans le moindre bruit Miss Barrett referma la porte.
Sans le moindre bruit, ils s’en furent, descendant l’escalier, traversant le salon, la salle à manger, la bibliothèque. Toutes les pièces étaient à l’ordinaire avec leur air, leur parfum familier; toutes paisibles, elles semblaient s’être endormies par ce tiède après-midi de septembre. Sur le paillasson du hall, Catiline dormait aussi. Les fugitifs atteignirent la grande porte ; sans le moindre bruit la poignée tourna. Un cab attendait dans la rue.
« Hodgson », dit Miss Barrett. Elle prononça le mot dans un souffle. Assis sur ses genoux, Flush ne fit plus un mouvement. Pour rien au monde il n’eût brisé un si formidable silence.

Virginia Woolf
Flush

Juste un poème

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne


Guillaume Apollinaire
"Alcools", 1913

Lu chez Eric McComber

Ce poème de Neruda a été publié par Mighty Mélissa LeBlanc dans les commentaires chez mon pote Mc Comber hier...

Voici l'arbre,
l'arbre de la tempête,
l'arbre du peuple.
Ses héros montent de la terre
comme les feuilles sortent de la sève,
et le vent étoile les feuillages,
foule bruyante,
jusqu'à ce que retombe en terre
la semence du pain.

Voici l'arbre,
l'arbre nourri de morts nus,
de morts flagellés, de morts déchirés,
de morts aux visages insupportables
empalés sur une lance,
pulvérisés par le bûcher,
décapités par la hache,
écartelés par le cheval,
crucifiés dans l'église.

Voici l'arbre,
l'arbre dont les racines sont vivantes,
il changea en salpêtre le sang des martyrs,
ses racines mangèrent du sang,
il fit sortir des larmes du sol :
il les fit monter par ses ramures,
il les répandit dans son architecture.
Elles furent des fleurs invisibles,
parfois des fleurs enterrées,
d'autrefois des fleurs qui firent briller leurs pétales
comme des planètes.

Et l'homme cueillit sur les branches
les corolles durcies,
il les donna, de main en main,
comme s'il s'agissait de magnolias ou de grenades
et aussitôt, elles ouvrirent la terre
et grandirent jusqu'aux étoiles.

Celui-ci est l'arbre des hommes libres.
L'arbre-terre, l'arbre-nuage.
L'arbre-pin, l'arbre-flèche.
L'arbre-poing, l'arbre-feu.
L'eau tumultueuse de notre époque nocturne le noie,
mais son mât balance
le cercle de sa puissance.

Quelquefois retombent
ses branches cassées par la colère,
et une cendre menaçante
recouvre son antique majesté :
c'est ainsi qu'il traversa d'autres époques,
c'est ainsi qu'il sortit de l'agonie,
jusqu'à ce qu'une main secrète,
quelques bras innombrables,
le peuple,
rassemble et garde les fragments,
cache les souches insensibles,
et ses lèvres étaient les feuilles
de l'arbre immense réparti,
disséminé de toutes parts,
cheminant avec ses racines.
Celui-ci est l'arbre,
l'arbre du peuple, de tous les peuples,
de la lutte et de la liberté.

Découvre sa chevelure de feu :
touche ses rayons renouvelés :
enfonce ta main dans les usines
où son fruit palpitant
chaque jour propage sa lumière.
Élève dans tes mains cette terre,
participe à cette splendeur,
prends ton pain et une pomme,
ton cœur et ton cheval,
et monte la garde à la frontière,
à la limite de son feuillage.

Défends l'extrémité de ses corolles,
partage les nuits hostiles,
veille sur le cycle de l'aurore,
respire les hauteurs étoilées,
en soutenant l'arbre,
l'arbre qui croît au milieu de la terre.


Pablo Neruda Chant Général - Les libérateurs

Manifeste

On m'a dit : "Fais des chansons comme-ci" On m'a dit : "Fais des chansons comme-ça" Mais que surtout ça ne pa...