Quarante ans. Depuis quarante ans, rien ne pouvait me séparer de toi.
Tout avait commencé dans la cour du lycée, par la découverte de ta saveur interdite et donc, délicieuse. Et puis, jour après jour, au fil du temps, tu étais devenue ma compagne, envahissant de ton odeur tenace mes vêtements et mes cheveux, omniprésente, jusqu'à presque devenir le prolongement naturel de ma main droite, dans laquelle tu te trouvais si souvent, attendant d'être allumée.
Tu as bercé ma jeunesse et accompagné ma longue vie de fumeuse. Je t'ai parfois adorée, parfois détestée en contemplant, rêveuse, le minuscule brasier orangé éclairant mes nuits sans sommeil. Et quand chaque matin je revenais vers toi, je me disais, inquiète, que jamais je ne pourrais vivre sans toi.
J'ai aimé ta saveur partagée avec les amis et ton heureux mariage avec mon café du matin. Et quand, après l'amour, tu venais magnifier un instant suspendu et remplacer les mots. J'ai maudit tant de fois ton odeur sur ma peau les lendemains d'abus, quand la tête embrumée, je jurais de ne plus jamais te rallumer, vaguement coupable et furieuse d'être à ce point dépendante de toi. Je me suis rebellée pour te garder, invoquant ma liberté au moment où quelques uns tentaient de me convaincre de t'abandonner. Et quand en écrivant, vidant comme une automate le paquet blanc et doré qui ne me quittait jamais et te laissant parfois te consumer dans le cendrier ou répandant ta cendre sur mon clavier, ce moment où je pourrais me passer de toi me paraissait encore bien improbable.
Tu jaunissais mes dents, tu ternissais mon teint, tu me cassais la voix, mais régnais sans partage sur mon existence, et voilà qu'aujourd'hui, ma passion pour toi est morte.
Elle s'est éteinte en douceur, sans effort, sans hâte. Et en quelques semaines, sans presque y penser, je me suis vraiment guérie de toi.
Je retrouve mon souffle, et mon palais s'émeut des saveurs subtiles qui disparaissaient derrière ton goût acre.
J'oublie déjà la tienne.
Adieu, ma blonde, ma clope.
Sans regrets.
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5 commentaires:
t'es fortiche, Framb'. Que cette fois soit la bonne, c'est tout ce que je te souhaite ! Félicitations !
RIP
ah la vache...je savais pas de quoi tu parlais ! Continue, t'es capab'....
Superbe,
une vraie lettre d'amour !
j'ai d'abord pensé à Marylin par une lecture diagonale, puis le style était si pur que j'ai happé chaque ligne, chaque mot inspiré;
ta prose, sans elle, n'a rien perdu de son souffle, au contraire, les volutes bleues de ton accent perso n'en sont que plus pures et puissantes,
Bravo!
Merci alterdom, ton commentaire encourageant me touche au plus profond !
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