04 novembre 2010

Un dimanche chez Momo

Il y a quelques jours, Momo a mis le feu à sa cuisine. Elle me raconte l’affaire de sa voix gouailleuse, lors de sa visite au snack où je suis en train de finir les peintures pour la réouverture prochaine.
-  Comment ça mis le feu,  Momo ?
-  Ben, la fille qui vient faire le ménage a laissé une friteuse en plastique sur une des plaques. Je me suis trompée de bouton…et ça a fondu !
-  Une friteuse en plastique ?
-  Une friteuse électrique avec du plastique. Tu verrais ça ! Ma cuisine est toute noire ! J'ai balancé de l'eau dessus, mais je peux pas nettoyer la gazinière, c’est tout collé !
- Bon. Ecoute, demain je viendrai voir ce que je peux faire. Je t’appelle.
- Merci ma petite poule, t’es gentille.
Il pleut des cordes quand j’arrive chez Momo le dimanche matin.
Elle est devant sa télé. Elle a sorti une bouteille de vin cuit de son frigo et l’a posée sur la table.
L’appartement de Momo est pas mal sympa. Elle a attendu 10 ans pour pouvoir s’installer enfin dans un logement HLM adapté à son handicap.
Les murs du coin cuisine sont vraiment noirs, et les plaques électriques baignent dans un mélange de plastique fondu et d'eau. C'est un vrai désastre ménager!
Je ne sais pas combien de temps ça lui a pris pour sentir l’odeur de plastique brûlé qui imprègne encore toute la pièce. Elle a dû s’endormir ou perdre la notion du temps.
- Eh ben dis-donc, t’as pas fait semblant !
- J’l'ai pas fait exprès!
- T’as eu de la chance de pas t’endormir longtemps, t’aurais pu mourir asphyxiée !
- Ouais, je sais. Bon, tu fais ce que tu peux, t’embête pas trop quand même.
Sa cuisine est vraiment dans un sale état . Non seulement c'est noirci presque partout, mais des assiettes sales traînent dans l’évier et un reste de pot-au feu à moitié moisi flotte dans une gamelle.
- Momo, qui te fait à manger et la vaisselle ?
-  Ben la femme de ménage,  mais là c’est férié, alors j’ai personne avant mercredi. Je peux pas faire grand chose avec une seule main.
Je fais la vaisselle, et j’attaque la grande lessive. La fumée a encrassé le crépi en profondeur. L’émail du couvercle de la gazinière a brûlé. Je frotte, je gratte. C’est une catastrophe au niveau déco, mais c’est propre. Il faudra repeindre pour effacer les traces du sinistre que Momo n’a pas voulu déclarer à son assurance. Peut-être qu’elle ne l’a pas payée. Je n’ai pas trop envie de lui poser la question.
Je vérifie que rien ne disjoncte quand je rallume les plaques et le four.
- Bon. C'est pas génial, faudrait trouver quelqu'un qui vienne donner un coup de peinture.
- Ben, je demanderai à Alain. Merci.  J'peux m'en servir maintenant de la plaque ?
- Oui, j'ai tout enlevé, ça fonctionne, mais tu fais gaffe hein ?
- Faudrait que j'me prépare un truc, je commence à avoir faim.
- Tu veux manger quoi ?
- J’sais pas, y a plein de bouffe dans le congel. On se fait un petit muscat ?
Va pour le muscat. On fume une ou deux cigarettes et elle me raconte.
La femme de ménage vient trois fois par semaine. Deux heures à chaque fois. Vu l’état du sol, elle ne doit pas savoir où se branche l’aspirateur ni où se range la serpillière. Momo  bénéficie des services d’une association pour ces 6 heures de nettoyage de son appart. Ca lui coûte 500 euros par mois. Je fais rapidement le calcul . Elle l’a fait aussi, elle sait bien qu’elle se fait arnaquer, mais elle n’a pas vraiment le choix. L’Association lui a été plus ou moins imposée par les services sociaux, d’après ce que je comprends. Je n’insiste pas.
Dans le congel de Momo, je trouve plusieurs kilos de crevettes et de friture de petits poissons, des coquilles Saint-Jacques, du poulet, du poisson pané, pas un seul sachet de légumes, des frites à gogo, de la crème glacée et de la tarte aux pommes.
- Oh ! ben tu risque pas de manquer de frites !
- Sauf que maintenant j’ai plus de friteuse !
Elle rigole.
- T'as du gaspacho, tu veux que je t’en prépare un peu ?
- Nan, j’aime pas ça.
- …..
- Jette le, faut que j’fasse de la place, le livreur de surgelés passe mardi livrer ma commande.
- Mais des surgelés, y'en a plein Momo ! Pourquoi t’as passé une commande alors que c’est bourré à craquer ?
- Ben, c’est comme ça, il passe le mardi, tous les quinze jours.
J’ai subitement la sensation que question racket facile, Momo est entre de bonnes mains…
Je repense à l’assistance sociale qui lui fait la morale parce qu’elle claque ses sous au snack. Elle devrait plutôt venir jeter un coup d’oeil sur l’état de la maison après le passage de la ménagère de SOS Ménage où calmer l’ardeur du vendeur de SOS Produits surgelés. Momo se marre comme une baleine en m'écoutant râler.
Je sors des crevettes, des Saint-Jacques, du saumon fumé et je prépare un déjeuner que nous partageons en regardant la télé.
Je lui prépare du café pour sa journée.
- Ah ! ça fait longtemps que j’avais pas mangé comme ça un dimanche !
Et pour cause, le dimanche, la cantine est fermée.
- Tu veux pas me faire chauffer un petit morceau de tarte ?
Deux cafés et deux morceaux de tarte plus tard, je repars en la laissant seule devant sa télé.
Je ne sais pas vraiment pourquoi je me sens coupable, tandis que j’essuie sur mes joues les larmes rageuses  se mêlant à la pluie qui tombe toujours aussi fort.

9 commentaires:

Mek a dit…

Argh. C'est insupportable. J'en lirais 400 pages tout de suite.

McDoodle a dit…

100 pour 100 d'accord.

piedssurterre a dit…

Le souci, c'est que je suis fichtrement incapable d'écrire 400 pages qui se tiennent !
Ca me fait chaud au coeur, ce que vous m'écrivez là, parce que je me suis vraiment éclatée à l'écrire, ce petit texte.. Merci d'être là et de me lire.

Yvan a dit…

Cette page se tient tellement bien ensemble
à elle seule!

Merci FanFan.

xxxx

manouche a dit…

Bien plus difficile la nouvelle que le roman!
Bravo pour celle-ci !

Sébastien Haton a dit…

Difficile de dire si c'est du vécu ou non... en tout cas c'est magnifiquement écrit et je suis comme les autres lecteurs : j'en veux encore !
Bises
sébastien

anne des ocreries a dit…

Si tu peux pas écrire 400 pages qui se tiennent, écris-en 400 comme ça vient, chuis preneuse aussi !!!
y a des fois, tu te dis que les gens, faudrait les protéger AUSSI des services sociaux censés les protéger !!!
de la gestion de cheptel, qu'ils font....et je sais de quoi je parle ! j'ai pas vu d'AS depuis des lustres....m'ont juste dit qu'ils pouvaient rien pour moi, trop atypique....alors je me démerde sans PQ, si tu vois ce que je veux dire....toute seule, quoi.
bon, un dimanche froid, sous la flotte, la vie de Momo, ça fout bien la rage, en tout cas.T'aimerais secouer les salauds de cette association, et bouter le SOS surgelés en Alaska d'un bon coup de latte !

piedssurterre a dit…

à Shaton : depuis le temps, tu sais bien que je n'écris que des choses vécues, je n'ai aucune imagination.....

Sébastien Haton a dit…

Pinaise, c'est encore plus fort ! Ton vécu sent le roman !
D'où les 400 pages suggérée par tes plus fervents lecteurs :))

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