02 juin 2010

Un charlatan dans mon grenier

La dame qui a téléphoné a dû recevoir une formation en béton armé. D’habitude je n’ai pas besoin de plus de quelques minutes pour éconduire tous les vendeurs par téléphone qui essaient de me fourguer des assurances ou des solutions miracle pour faire des économies. Mais là, je ne sais pas comment elle a réussi à me faire accepter ce rendez-vous avec un technicien des charpentes. Je devais être moyennement en forme quand elle a appelé. Bref, le mec est là devant ma porte, et je sens que ça va être copieux. Il commence par me faire un sketch du tonnerre en matant les poutres anciennes qui constituent le plafond du rez de chaussée de ma maison. Elles sont vieilles oui, et alors. « - Hé ben ma petite dame, on dirait que j’ai bien fait de venir ! »J’ai horreur qu’on m’appelle ma petite dame, t’es mal parti toi, me dis-je en regardant ce clown enfoncer son tournevis dans le bois un peu usé des poutres blondes. A t'il senti mon agacement où est-ce une partie de la méthode? Il déclare soudain que j’ai de la chance, car mes poutres ne sont pas attaquées par les capricornes. L’envie de le foutre dehors sans attendre qu’il tâte tous les murs avec son cruciforme commence sérieusement à poindre mais je reste calme et silencieuse. Le personnage est tellement caricatural que je laisse faire et je l’observe faisant son cirque. Il me demande s’il peut aller jeter un œil dans le grenier. Bon, allons donc voir le grenier. Il sort son masque et sa combinaison spéciale et passe négligemment les doigts dans ses cheveux bruns gominés. Il se prépare visiblement à une expédition très dangereuse. Je l’informe qu’il n’a rien à craindre,à part de la poussière, quelques cartons et des araignées, il ne trouvera rien de toxique dans mon grenier. Mais non, rien à faire, le show est bien rodé, comme celui de la téléprospectrice. J’ai à faire à des professionnels de leur profession. Il grimpe à l’échelle que je tiens quand même par précaution. J’attends en bas et je commence à m’amuser, convaincue que le diagnostic va être terrible. J’essaie d’imaginer ce qu’il va bien pouvoir trouver avec sa lampe et son tournevis. Il redescend et c’est à ce moment que le Grand Show démarre. Nous retournons dans la cuisine et il pose sur la table ses catalogues et son bloc notes. A ce moment une autre phase de la technique se déclenche sous mes yeux ahuris : il rectifie légèrement le col de sa chemisette bleu canard qui laisse entrevoir un torse velu et une chaîne dorée. Il entame l’énoncé du diagnostic : le toît de ma maison va me tomber sur la tête, prêt à s’effondrer si je ne réagis pas très vite. Aucune bestiole genre termite ou capricorne dans le bois, non, mais un champignon appelé mérule qui lentement mais sûrement détériore un peu plus chaque jour l’état de la charpente. Ce qui fait que, si je ne veux pas devoir dans quelques mois au mieux dans deux ans payer des sommes folles pour tout refaire je dois de toute urgence lui signer un bon de commande pour un traitement de ma toîture intérieur-extérieur pulvérisation isolation karcher injection d'anti -bestioles tous les vingt centimètre isolation ultra efficace nettoyage travail parfait méfiez-vous de ceux qui sont moins chers que nous ce sont des charlatans ! Je crois rêver tandis que je le laisse déballer l’artillerie. Planches couleur, dessins de bestioles en tout genre. Embrouille, contre-embrouille, dessins, aller-retour dans son classeur, un cours sur le bois, un cours sur les termites. Bizarrement rien sur les mérules. La somme est lancée : 1700 euros, et c’est un prix d’ami, parce qu’en vérité, ça coûte normalement beaucoup plus cher que ça. Il a justement un chantier la semaine prochaine sur le village, alors on prend rendez-vous tout de suite ? Je souris. Il croit que c’est gagné. Il ré-attaque : garantie décennale, charte de confiance, expertise qualité, réputation, exclusivité. Je pose deux ou trois questions auxquelles il ne répond pas. Il revient un peu sur les capricornes et les termites, me montre à nouveau ses photos de larves, de colonies. C’est impressionnant ! Je lance un « Oui mais y en a pas ! » « Mais ça pourrait ! » Ce type est un phénomène. Devant mon air décidément pas affolé pour un sou, il commence à perdre sa belle assurance technique et essaie une autre méthode : le charme. Et là, j’en ai subitement assez de son assurance de camelot de foire. Je lui annonce que de toute façon, va falloir qu’il revienne pour expliquer tout ça à mon compagnon, parce que je ne prends jamais aucune décision concernant la maison sans avoir son avis éclairé. Je lui propose donc de revenir plus tard pour convaincre mon homme, qui, je le préviens non sans cruauté, est un sacré dur à cuire ! Il tente un dernier "Ah mais je suis bien sûr que vous pourrez le convaincre sans moi !". Je parviens enfin à le mettre gentiment dehors, tout dépité. Je range mon échelle en me disant que oui, quand même il va falloir que je m'occupe un de ces quatre de la ventilation du grenier. Parce qu'en fait, chez moi, y a pas de mérules. A peine un poil d'humidité.

9 commentaires:

gaétan a dit…

ha ces vendeurs....Faudrait les enfermer dans le grenier :-)
Depuis quelques temps y a pas une semaine que je ne reçois pas un appel de quelqu'un qui tente de me vendre quelque chose. Enfin j'imagine qu'ils vendent quelque chose car je leur laisse rarement le temps de faire leur baratin. Sitôt le nom de leur commerce dévoilé je leur dis que je ne suis pas intéressé et je raccroche.

manouche a dit…

juste avant de raccrocher tu dis"merci beaucoup"pour que le pauvre type qui fait ce boulot puisse compter 1....

piedssurterre a dit…

@ Manouche, en général, je suis sympa avec les gens qui font du démarchage téléphonique parce que c'est difficile et qu'il faut bien gagner sa vie. Mais le foireux qui invente des problemes et qui tente de faire flipper les gens un peu faibles et crédules, non ça ça ne passe pas.

anne des ocreries a dit…

Pétée de rire ! à ce jour, et je croise les doigts, j'ai toujours réussi à les évacuer dès le coup de fil.

gaétan a dit…

Semble bien que je n'ai pas la même tolérance que vous vis-à-vis de ces vendeurs à pression.
Je n'aime pas cette façon qu'ils ont de s'introduire, sans avoir été invité, chez les gens par voie téléphonique ou autrement. Ils débitent leur baratin sans laisser le temps de mettre fin à la discussion autrement que de leur couper la parole.
Combien de personnes âgées, de personnes seules (souvent des femmes), trop heureuses de parler enfin à quelqu'un, achètent un produit ou un service de ces vendeurs qu'elles n'auraient jamais sollicité ou acheté autrement....

Sébastien Haton a dit…

Marrante ton histoire, mais tu devais être très fatiguée ou de très bonne humeur pour aller jusqu'au bout du processus.
Comme toi, je n'insulte jamais les démarcheurs par téléphone mais je raccroche poliment très vite. Ceux qui rappellent, je leur joue un air de piano sans préavis. Aucun n'est resté assez longtemps au bout du fil pour me dire s'il avait apprécié...

piedssurterre a dit…

Oui, c'est une plaie ces vendeurs qui bossent à l'arrache. Je vois passer ces derniers mois des offres concernant des boulots de phoning à la chaîne pour décrocher ce genre de rendez-vous. Les gens défilent, craquent, arrêtent et d'autres arrivent. J"e ne pourrai jamais faire ça" se dit on et puis un jour sans avoir plus d'autre choix, une fois au pied du mur on est peut être contraint de le faire tout simplement pour survivre. Gaétan à raison, abuser de personnes fragiles c'est dégueulasse, mais ça me semble parfois plus compliqué que ça, c'est le système qui est à incriminer, pas nécessairement les gens qui tentent de bouffer en acceptant n'importe quoi pour avoir un travail.

Gomeux a dit…

C'est bon avec un peu de cumin des Mérules.
Uhuh.

piedssurterre a dit…

Uhuh.
Jamais goûté. Mais j'aime bien les girolles.

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