31 mai 2010

En caisse

L’envie de faire demi-tour me tente fortement mais je sais que je dois y entrer pour faire le plein du frigo. Je respire un grand coup en mettant mon jeton dans le chariot et j’entre dans la galerie marchande. Trois quart d’heure plus tard, après avoir erré dans les rayons et remarqué les prix de plus en plus exhorbitants des produits labellisés bio, je m’avance vers les caisses avec dans mon caddy le strict nécessaire pour nourrir à peu près correctement ma tribu pendant une petite semaine. 
Elle est blonde et souriante, un échange discret avec avec sa collègue de la caisse d’à côté m’apprend qu’aujourd’hui elle fait 15 heures-22 heures. Elle boit un peu d’eau et me raconte que la clim est en panne et que cet hiver c’était le chauffage qui ne marchait plus. Elle se marre en disant que le directeur du magasin s’en fout complètement que les caissières se gèlent l’hiver et crèvent de chaud l’été. C’est vrai qu’il fait une chaleur infernale aux caisses. Sept heures quasiment d’affilée sans un souffle d’air ça fait beaucoup mais c’est presque fini pour elle parce que bientôt elle va partir à la retraite. Elle a cinquante-neuf ans et son chef veut absolument qu’elle aille superviser une des caisses sans caissières que la direction du supermarché met en place petit à petit. Elle refuse, elle s’accroche à son poste. Elle n’a aucune envie de passer sept heures debout à se faire agresser par les gens que les caisses automatiques énervent parce qu’ils n’arrivent pratiquement jamais à se débrouiller tous seuls devant ces machines et qu’ils finissent par perdre le temps qu’ils ont pensé gagner en les utilisant. J’ai décidé de fuir systématiquement les caisses automatiques depuis plusieurs mois et je le lui dis. Elle et ses collègues voient arriver l’installation de ces automates comme autant de mauvais présages. Elle raconte en quelques mots la pression qui monte, les horaires de plus en plus difficiles, le chômage qui menace dans ce supermarché bourré à craquer en permanence dont le chiffre d’affaires devrait permettre de créer des emplois au lieu d’en supprimer. Elle s’inquiète pour celles qui ne sont pas comme elle à quelques mois de la retraite.  Elle dit qu’elle a commencé à travailler à quatorze ans et qu’elle va toucher 700 euros par mois quand elle va quitter son poste. Elle se soucie de savoir comment elle parviendra à boucler ses fins de mois avec si peu mais surtout elle craint que le travail ne devienne encore plus pénible d’ici son départ. "C’est la vie", conclut elle en souriant sous le regard appuyé de son chef  qui a remarqué qu’elle s’était arrêtée de passer ses articles devant le lecteur de codes barres le temps de cette brève conversation. Un sourire et quelques mots d’excuses : "Bon allez faut que je reprenne là, sinon je vais me faire repérer" mettent fin à notre échange. 

4 commentaires:

anne des ocreries a dit…

Encore heureux qu'il paraît que l'esclavage est aboli en France ! Nous menons vraiment des existences aberrantes.

gaétan a dit…

Esclavage et résignation....la retraite comme libération. Et encore "ils" tentent de nous l'enlever ou de la repousser encore plus loin.

Sébastien Haton a dit…

Le pire, c'est que l'évolution du monde mène à la ruine de tous. Si tous les emplois automatisables sont automatisés, il n'y aura plus assez d'humains pour acheter les produits vendus...
Mais je ne suis pas sûr que ce serait si tragique, au fond.

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