Quinze ans, faut que je remonte 15 ans de boulot. Pour avoir peut-être droit à quelques centaines d'euros par mois, faut que je prouve à l'état que j'ai été une bonne travailleuse méritante et régulière, pendant les 10 ans qui précèdent la création puis l'abandon de mon entreprise.Quinze années bien lointaines où je dois fouiller pour retrouver mes contrats d’intermittente du spectacle, un jour ici l’autre ailleurs, un jour habilleuse un autre assistante de plateau, le lendemain autre chose au gré des passages de tournées et des cachets glanés ici et là pendant toutes ces années où je vivais au jour le jour.
Je fouille depuis des heures dans les cartons où des morceaux de ma vie se sont entassés pêle-mêle.Les feuillets égarés un temps côtoient les bulletins de salaire bien rangés des périodes plus stables pour lesquelles les choses sont aussi en ordre que la vie bien rangée qui allait avec.Les souvenirs affluent et je me revois pataugeant dans la boue de festivals d’été bretons et pluvieux ou transpirant sous le soleil du sud lors d’un méga concert de U2. Je revois les visages des gens qui ont partagé avec moi ces moments uniques où le temps n’avait aucune importance. Nous débarquions sur les sites vides et la scène se construisait en quelques heures, nos cantines éphèmères accueillant les techniciens affamés et rigolards. Je me revois fourbue et heureuse d’avoir engrangé pendant quelques jours assez d’argent pour tenir quelques semaines, contente d’avoir glané au fil des rencontres des contacts porteurs de nouveaux contrats et d’autres ballades. J’ai pour souvenirs les voix et les rires et la mémoire des lieux et des gens. J’ai distribué à ceux qui les voulaient toutes les objets glanés au fil de ces concerts. Je me souviens des filles qui ne venaient bosser que pour collectionner les autographes et approcher les stars. Je souris aujourd’hui en me rappelant une belle brune qui arrivait maquillée comme pour un rendez-vous d’amour et qui passait son temps à chercher le regard des musiciens, pestant sur ses beaux ongles peints délavés par l’épluchage de légumes et la plonge qu'elle détestait..
J’ai aimé cette vie, oui, je l’ai aimée, même si les mois qui défilent et la course aux cachets étaient remplis d’incertitude. Le temps a passé, j’ai changé de vie tant de fois et vécu tant d’autres expériences que j’avais presque oublié la saveur ancienne de cette existence bohème. Je me souviens de la tournée de l’idole française, de ses fans déchaînées, de son visage buriné et de la cour de flatteurs le suivant pas à pas. Les journées étaient longues et je me revois descendant du bus à cinq heures du matin et assistant au déchargement des camions, attendant que mon matériel soit acheminé jusqu’au sous-sol où j’installais la cantine. Je revois les visages usés par le manque de sommeil et l’abus de drogues en tout genre jusqu’au bout de la nuit. Je m’endormais chaque nuit dans ma couchette étroite et m’éveillais dans une autre ville, sous un autre soleil, chaque jour apportant son lot de rires et de fatigue. Le visage de Tony le cuisinier me regarde soudain. Ce type vieilli par l’alcool, tournant depuis 20 ans, improvisant chaque jour un festin en quelques heures une fois avalées dès le réveil les bières nécessaires au déclenchement de sa créativité débordante. Il m’a beaucoup appris et il est assez étrange que son souvenir ne me soit pas plus souvent revenu lorsque je cherchais moi aussi à créer dans la cuisine de mon restau bien des années plus tard. Sans doute avais-je plus besoin à cette époque de me souvenir de ses recettes que de lui. Lui qui est mort comme il le souhaitait en plein milieu d’une tournée, d’un bête arrêt cardiaque. On the Road.
4 commentaires:
ça fait une vie et un paquets de souvenirs, tout ça...t'as dû apprendre pleins de trucs durant toutes ces périodes ! Fallait une sacrée pêche pour tenir le coup là-dedans, je trouve.
Hé,hé,hé, la pêche, c'est pas ce qui me manque, j'en ai même trop parfois, j'arrive à me fatiguer moi-même :0)
chère" pieds"envoie moi un petit morceau de ta pêche, j'en ai bien besoin, mais pas le noyau s'il te plait!
Dingue comme l'administration procédurière peut faire remonter comme souvenirs, images et moments forts...
On s'y croirait !
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