13 juin 2010
Interminable chantier
De grands cernes bleus marquent le visage de la femme qui me sourit. A chacune de mes visites, elle semble plus fatiguée et un peu plus désespérée. Vendre cette maison avant l’été est pour elle désormais une obsession angoissante. Elle tente chaque jour d’arrêter son homme dans sa tentative de terminer tout ce qui devait être fait. Il s’active, il transpire. Quand il m’ouvre le portail je le vois ruisselant de sueur, continuant inlassablement de poser des pilers, de couler du béton, de finir un mur. Ses chiens ont piétiné le ciment encore frais de la dalle du garage et les visiteurs sont moyennement amusés par la vue des traces de pattes désormais gravées dans le sol. Les premières visites ont été décevantes. J’ai tenté de lui faire comprendre que sa détermination à tout terminer dans l’urgence ne lui permettrait pas de vendre plus cher, il ne veut rien savoir. Ce que les yeux de cet homme et de cette femme n’ont jamais vu où ne peuvent plus voir saute à ceux de leurs acheteurs potentiels. Je n’ai pas le cœur de leur faire le récit des commentaires cruels qui me sont livrés après chaque passage :« Cette maison est sabotée, il faut tout reprendre ou presque des grossiers bricolages ». II y a cinq, ces gens se sont jetés dans la gueule du loup. Après avoir payé le terrain une fortune ils n’avaient plus assez d’argent pour financer la construction sur plans. Ils se sont fait livrer une maison pas vraiment finie et l’ont terminée eux-mêmes. Le temps a passé. Les matériaux sont arrivés petit à petit, un petit crédit par ici, un autre par là. Tous à des taux d’intérêts faramineux. Elle est mutée à 800 kilomètres. Il faut partir, rembourser les dettes, recommencer une nouvelle vie. La tension est palpable. Les mots qu’ils ne prononcent pas se lisent dans leurs yeux et je ne sais pas que faire pour les aider à s’en sortir sans trop de casse. Ils m’ont annoncé le montant qu’ils doivent rembourser et j’ai compris qu’il serait impossible pour eux de revendre la maison au prix qu’elle a coûté. Je la fais visiter mais ne peux éviter que les gens voient tout ce qui cloche et qui fait obstacle à la vente. C’est dur pour eux, c’est pénible pour moi de voir chacun camper sur ses positions : lui qui veut à tout prix finir en bâclant chaque jour un peu plus et elle qui ne veut rien d’autre que vendre même à perte et partir au plus vite. Leur petit jardin est en friche, dévasté par les amas de matériaux divers que l’homme laisse traîner. Je l’imagine le soir épuisé d’avoir réussi à faire si peu, se levant tôt le matin pour tenter de terminer son interminable chantier. Ses finitions sont un massacre et il est de plus en plus épuisé et coléreux. Il enrage qu’on ne respecte pas son travail. Je voudrais avoir la force de l’arrêter. Je n’ai pas le courage de lui dire de tout ranger proprement dans un coin, de nettoyer simplement le jardin et de vendre en l’état. J’aime bien leur maison malgré ses défauts. Leurs bricolages ont quelque chose d’émouvant et sont le reflet de leur simplicité. Mais les acheteurs ne voient pas les choses sous cet angle. Comme souvent ici, la maison a été sur-évaluée. Je n’ai à vendre que les maisons simples de gens simples qui se sont fait arnaquer pour la plupart par les rapaces d’ici, dans ce sud où le soleil se paye au prix fort. Que faire quand après quelques années, ils ont à peine fini de rembourser les intérêts et qu’il reste encore tout le capital ? Il faudrait empêcher les promoteurs véreux de vendre des terrains minuscules à prix d’or et les banques de fourguer des produits financiers qui sont des gouffres. Je me sens impuissante et triste devant des situations pour lesquelles je n’ai pas de solution. Sinon celle d’amener à une vente à la valeur réelle et de contribuer moi aussi finalement au malheur de gens qui ne méritent pas de payer si cher leur désir d'avoir eu, un jour, une maison à eux.
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4 commentaires:
Oh, Framboise, ça fait chagrin à lire, cette pauvre histoire...Quel monde pourri !
Ça fait chagrin à vivre aussi. C'est déprimant parfois ce métier.
Avec le temps tout se vend mais pas toujours au prix espéré.
À la fois pathétique et courageux les travaux de dernière minute pour augmenter la valeur pour se sortir du gouffre.
vive le nomadisme ,la sédentarité se paie trop cher.
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