19 février 2010

Décevante étrangère

Je suis arrivée comme en terre étrangère, sans prévenir personne, ni parents, ni amis. J’ai loué une voiture à la gare. La route est à peine plus large qu'il y a trente ans. Elle traverse à présent de nouveaux villages - Allées des peupliers, Impasse des Chênes verts - toujours aussi droite, et plus triste qu'avant. Je ne sais pas si c'est la pluie où la désagréable odeur de plastique de cette voiture trop neuve et trop propre qui me met dans cet état un peu bizarre. Gîtes d'étape, fermes équestres, plus de tracteurs dans les champs, pelés pour la plupart, dès que je me rapproche de la nouvelle agglomération . Je regarde, ahurie, les petites usines, les hangars, les supermarchés. Un peu inquiète, je prends la route dite du Verger. Le café du bon coin est toujours là, presque le même. Sourire, enfin ! je suis presque arrivée... Je passe devant la maison construite quand j’avais douze ans. On m’avait alors fait monter tout en haut de la charpente, pour accrocher le bouquet de fleurs destiné à porter bonheur à la nouvelle construction. Je n’avais pas le vertige à cette époque. Je n'aimais pas cette maison, et je ne suis pas venue pour elle.
Je me souviens de cette route, quand j'y roulais le plus vite possible, sur ma mobylette fuschia, mes cheveux fins au vent, si fière de pouvoir enfin semer mon jeune frère à vélo.
Au bout du chemin qui mène à la ferme, les pavillons ont remplacé les vergers et les champs. J’avance dans la cour, un chien aboie. Je lis sur un panneau «Chambres tout confort». Plus de jardin, ni de poulailler, les étroits murets de pierre sur lesquels je marchais telle une funambule ont été remplacés par une solide clôture grillagée. Je cherche autour de moi quelque chose qui pourrait m’être encore familier. Ce n’est plus une ferme depuis longtemps. Seule la disposition de la bâtisse n’a pas changé. L’emplacement du cellier et la porte de la cuisine, la porte de l’étable et, en enfilade, la grange réaménagée en gîte à louer à la semaine. Je jette un regard sur le côté, le champ où mon père cultivait des iris a été loti. Je regarde les maisons. Blanches pour la plupart, avec des pelouses bien tondues et quelques fleurs. Je regarde au-delà de la barrière, à l’entrée du petit chemin qui menait au ruisseau. Les talus ont disparu, et les haies, et les arbres. Tout est désespérément plat, comme dans l'attente d'une future Allée des Pommiers.
Incapable d’avancer et de demander si je peux entrer - que dirais-je ? je regagne la voiture. J’ai un peu mal au cœur. Je monte le son et je démarre, vitre ouverte, sans regarder derrière moi. Comme toujours.

8 commentaires:

RAINETTE (l'énigmatique) a dit…

Salut Françoise (framboise ?)

Tu écris : "J’aimais bien cette maison, mais je ne suis pas venue pour elle".

Je n'ai pas trop bien compris pourquoi tu t'étais rendu jusque là. Tu prévoyais loger dans cet auberge mais les souvenirs t'en ont empêchée ?

Si oui, je comprendrais très bien qu'une auberge en lieu et place d'un champ d'iris, c'est déstabilisant ! Surtout si ce sont les iris de son enfance !

RAINETTE (l'énigmatique) a dit…

pas Françoise mais framboise....je m'excuse.

C'est que j'aimerais bien connaître ton prénom. Moi c'est Raymonde comme dans Raynette ou rainette. Quel prénom ringard hen !

Carole a dit…

bonjour. c'est un beau témoignage, j'aime beaucoup ce regard sur la transformation du monde, des objets, des paysages, des activités associés au lieux que vous traversez. Vous dites : "les murets de pierre sont remplacés par de solides clotures"
Un film me vient à l'esprit : mon Oncle de Jacques Tati.

piedssurterre a dit…

@ Raynette, Non, je ne savais pas que c'était devenu des gîtes. Je n'ai rien retrouvé de ce que je venais revoir. Mes souvenirs, ils sont dans ma tête, mais comme je suis un peu cabossée, j'avais envie de me ré-imprégner des lieux, et il ne restait plus rien, alors je suis repartie aussi sec. La maison devant laquelle je suis passée sans m'arrêter, c'est celle ou nous avons déménagé après la vente de la ferme, une maison construite quand j'avais 12 ans .Je raconterai les champs d'iris mauves très bientôt. Bise, au carré. Ah j'oubliais, Mon vrai prénom, c'est Françoise, ou Fanfan, ou Framboise, c'est toi qui choisis le ti-nom si tu prédères.

piedssurterre a dit…

@Carole : Merci, cette belle référence me va droit au coeur.

RAINETTE (l'énigmatique) a dit…

Françoise, c'est le ti nom que je choisis.

J'ai toujours voulu aller revoir la maison où j'ai grandi (on dirait Françoise....H), j'ai souvent passé sur l'autoroute, pas loin mais n'y suis jamais allé finalement. Pourtant, ça me hantait, presque, à certains moments. Pour moi aussi c'est trop tard, tout a été démoli pour construire une autoroute !

anne des ocreries a dit…

Saloperie d'urbanisation ! Bétonnage des campagnes, tourisme dévorant, déchéance agricole, notre passé est comme une ancre flottante à l'arrière d'un bateau !

piedssurterre a dit…

@ Anne, Oui, ce jour là, je me suis sentie vraiment d'une autre époque, et pourtant je ne suis pas si vieille. Et notre futur avance à toute vitesse... A peine le temps d'y penser qu'il te happe !

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