01 avril 2010

La petite explosion

Le bar était souvent bondé. L’été, habitués et campeurs routards se croisaient dans notre bistrot. Après la soirée passée un verre à la main, ils rejoignaient les tentes posées en haut de la falaise, où s’en allaient tranquillement fumer un joint sur la plage. Le seul truc pas marrant dans l’histoire, c’était que tous les soirs, vers minuit, fallait refuser le dernier verre au type chaud bouillant qui veut boire encore et encore rester dans ce cocon de chaleur humaine de musique et de rires. Fermer à l’heure, tenter de calmer le jeu, promettre de les retrouver un peu plus tard, dans la cave à zique de nuit du coin. Faire gaffe à pas se faire repérer encore par les flics guettant le premier incident pour nous coller la fermeture administrative espérée par les riverains pépères vue sur la mer qui n’avaient pas apprécié l’ouverture de « La Petite explosion ».
Nous n’étions que deux à bosser cette semaine-là. Grand Dom, 1,93 m, toujours pieds nus, sa grande carcasse osseuse, flottant dans un de ses pantalons de pyjama; et moi, haute comme trois pommes, les cheveux en pétard et le tatouage à l'air dans mes débardeurs trop grands et superposés. Toujours pliés de rire, bien allumés.
Ils sont arrivés à la nuit tombée. Deux mecs que je n’avais jamais vus. J’étais derrière le bar, je tirais des bières. J'ai levé les yeux de la pompe, alertée par un drôle de bruit. Dom avait porté la main à son oreille, et du sang coulait le long de son poignet. Hébété, il me regardait sans articuler un son. Et puis j’ai vu en un éclair des clients se reculer dans un coin de la salle, d'autres se poster dehors sur le trottoir. L’un des deux hommes cassait tout sur le bar, comme un fou, en braillant : « On t’avait dit qu’on r’viendrait, connard ! ». J’ai entendu quelqu’un me dire ; « Faut appeler les flics là ! ». « Ah non ! Ça, sûrement pas ». J’ai pas trop réfléchi. Je me suis retrouvée de l’autre côté du bar, en face de ce type aux yeux énervés. Il tenait dans sa main le verre brisé dont il s’était servi pour couper l'oreille de Dom. J’étais là, devant lui. Mes yeux dans les siens, soudain presque adoucis, je lui ai dit : « Ce bar c’est le mien, c’est mon seul moyen de gagner ma croûte pour élever mes gosses, alors maintenant que vous avez bien mis le bordel, vaudrait mieux vous casser avant l’arrivée des flics, les voisins ils vont pas nous louper ! ». Il ne m’a pas touchée. Il m’a appelée Madame. Il a dit « C’est pas contre vous, c’est ct’enfoiré d’serveur ! » Et ils sont partis. Laissant derrière eux une bonne cinquantaine de clients sonnés, comme pétrifiés. J’ai vite fermé le bar. Une espèce de vide en moi. Les flics sont arrivés évidemment, mais y avait plus rien à voir. J’ai conduit Dom à l’hosto. Ce grand couillon avait jeté ces deux mecs la veille, au lieu de leur dire calmement que leur joint, il valait mieux qu’ils aillent le fumer dans un coin plus discret. Le lendemain l’événement était de toutes les conversations. Et moi, j’avais subitement plein de nouveaux copains. C’était marrant. J’ai savouré, goguenarde, le moment où mon pote a déclaré que j’étais plus couillue que les gars bien costauds jurant devant leur bière fraîche que si jamais ce type avait osé me toucher ils lui auraient sauté à la gorge ! Ouais. Marrant.

9 commentaires:

anne des ocreries a dit…

Ouais, marrant ; figures toi que ton bestiau coupeur d'oreilles, là, j'en ai un dans le même genre dans le voisinage. Accroc au calibre 12, et capable de défigurer un type qui l'avait regardé de travers à coup de tessons de bouteille façon western, dans un baloche.Ne côtoyer que quand il est à peu près clean.
ça tient à très peu de choses, le fait que ça parte en vrille ou pas. à très, très peu de choses.
Et alors, les gros loustics te bouffaient dans la main, après ? j'aurais aimé voir ça, tiens...y m'aurait plu, ton rade, figure-toi. Mais chuis sûre que tu le sais déjà...:)

piedssurterre a dit…

C'est vrai que j'aurais pu me retrouver avec une belle balafre. J'ai eu du bol. Les gros loustics, ils ont vite oublié le western et repris l'habitude de m'appeler derrière mon dos "Madame Petite Explosion", juste parce que tout le monde avait compris que j'étais l'amante des deux mecs qui bossaient au bar :0)))) Sacrée époque !

anne des ocreries a dit…

Oué, et je parie que tu serais prête à la revivre !
Héhé, t'avais vu bon comme concept de management, toi....sortir avec tes serveurs, ça soude une équipe de fonctionnement, pas vrai ? :)) Mais...ça leur coupait pas trop les pattes ? ;-)

Mek a dit…

En fait, c'est un peu un bar, que tu as reconstruit dans le cyberespace !

piedssurterre a dit…

@ Anne, prête à revivre tout ça, non. Plus assez de peps et pas envie de redevenir alcoolique. Et puis, cette histoire à trois, il y a eu des dégâts quand même, au final.
@ É, j'y avais pas pensé, mais c'est bien vu !

anne des ocreries a dit…

A la nôtre, tout le monde, alors !
Oui, je sais, Framboise, ça créé de sacrés dégâts collatéraux ces histoires jules-et-jim, c'est vachement dur à gérer et on s'y écorche, mais j'y ai trouvé une de mes plus belles amitiés ! :)
C'est pas quelque chose qui peut, ni ne doit, s'inscrire dans le temps je pense, mais ça a été merveilleux de le vivre....
Ton cyber-bistrot, là, on y est bien ! il a raison Mc.Comber,il a bien vu la chose !

gaétan a dit…

Tiens j'y prendrais bien un café dans ce bar

Sébastien Haton a dit…

Histoire tout à fait édifiante...
J'ai fréquenté des endroits comme ça entre mes 19 et 21 ans. C'était dur... surtout pour moi qui adorais la bière mais détestais la violence.
J'avoue que je n'aurais sans doute pas su quoi faire face à de tels loustics.

Gaétan Bouchard a dit…

I drink to that.

:)

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