21 avril 2010

La plage

(Ecrire sans pâtir )


Quand je pense à mes copains qui vivent dans une grande ville et qui viennent chez nous en vacances en août je me dis qu'on a de la chance d'habiter près de la mer. Ils habitent une maison collée à une autre et ainsi de suite et leur jardin est tout petit. J'aime pas du tout leur ville. Elle est trop bruyante et ça pue.  
Mon père nous emmène toujours nager aux beaux jours quand il rentre des champs. Il nous fait monter dans sa camionnette. Quand on arrive sur la plage, il enlève sa chemise et son tricot de corps. On dirait une glace vanille chocolat. Ses bras et son cou sont très foncés et le reste est tout pâle avec des taches de rousseur. Il dit que c’est comme ça qu’on reconnaît les gens qui travaillent dehors de ceux qui se la coulent douce dans les bureaux. Évidemment Brigitte trouve toujours le moyen de faire remarquer que c’est trop nul d’avoir un bronzage comme ça et de dire qu'elle, quand elle sera grande blablabli blablabla... Mon père, il a pas envie d'entendre ses jérémiades sans doute, alors il en fait pas cas. Il m'a appris à nager et je me débrouille plutôt bien mais ce que je préfère c'est faire la planche. Je me laisse flotter et je regarde le ciel. Je resterais comme ça des heures à écouter juste le dessous de l'eau qui glougloute dans mes oreilles. A un moment Papa dit qu’il faut rentrer, parce que le travail n’attend pas. Il repasse vite fait à la maison manger un gros casse-croûte et repart dans les champs. On peut jamais rester longtemps sauf le dimanche. Parfois Maman vient avec nous mais je me demande bien pourquoi. Ma mère, elle déteste la mer. La seule fois où on est montés dans un gros bateau, elle a été tellement malade que je me suis demandé comment c’était possible qu’elle soit encore vivante après. La plage non plus elle aime pas ça. Elle dit que le soleil la fatigue et lui donne mal à la tête. Papa plante un parasol dans le sable. Elle se déshabille même pas. Elle reste là, assise sur une serviette, ses chaussures et ses bas bien rangés à côté d’elle. Elle est toujours inquiète vu qu'elle sait pas nager elle a peur qu’on se noie. Il faut qu’on remonte genre toutes les dix minutes pour lui faire voir qu’on est pas morts. Elle a l’air contente de nous voir arriver alors on passe devant elle en courant et en criant " j’y retourne! " et elle a juste pas le temps de dire non. Le dimanche, y a beaucoup de monde. Des tas de familles comme nous qui viennent avec des paniers pleins pour passer l’après-midi à la mer. Quand Maman est de bonne humeur j’ai le droit d’aller sur la grande dune de sable en attendant l’heure où on peut se baigner. C’est comme ça. Faut attendre trois heures après le repas. Sinon, il paraît qu'on peut mourir dans l'eau à cause du soleil et de la digestion. Je joue à partir dans le désert. Je m’en vais le plus loin possible et à un moment je me retourne et je vois tous ces petits paquets de gens qui se ressemblent avec leurs maillots de bain. Ça me fait comme un frisson et j’en mène pas large. J’ai eu beau prendre un repère avec le parasol de Maman en partant, je sais plus du tout comment je vais les retrouver parce que des parasols, y en a des tonnes. Je me refais toute la plage en courant et je rentre toute essoufflée par la grande aventure. Maman râle un peu que c’est pas raisonnable de partir seule comme ça mais Papa lui répond "laisse-là un peu vivre cette gosse" et elle insiste pas. Je sais que je suis la petite chérie de mon père. Je le vois dans ses yeux qui rient quand il me regarde. Il m'a raconté le jour où je suis née. Il a fait croire à tout le monde qu'il a eu enfin un garçon. A un moment les voisins lui ont demandé "comment il s'appelle ce petit gars ? " Et là, vite fait, il a balancé mon prénom et hop! il est reparti à toute berzingue sur son vélo. Moi je trouve ça triste à pleurer comme histoire. Mais c’est pas grave parce que je sais bien qu'il s'est habitué à ce que je sois une fille.

5 commentaires:

Blue a dit…

Chouette papa!

Bises Fanfan.
Blue

Yvan a dit…

Chouette texte aussi. :)

Blue a dit…

Right!

:-)

anne des ocreries a dit…

Oh là là, c'qu'ils sont chouettes tes souvenirs ! on dirait les miens...sauf que nous, y a que l'été qu'on allait à la plage, parce que la mer en Berry, ça s'appelle un étang...:) On a "fait" toute la côte de Deauville à Biarritz, année après année....et mon père aussi, il l'avait, le "bronzage agricole", comme on dit ici ! Je suis la n°4 et dernière, la préférée de mon père aussi, mais moi, il était content que je sois une fille. Il ne voulait pas de fils, il avait peur qu'une autre guerre ne les lui prenne....
T'écris vraiment bien.

piedssurterre a dit…

Anne, mes souvenirs, ils sont chouettes, mais une part d'ombre me reste de cette envie de garçon qui a hante encore ma famille et qui perdure encore aujourd'hui. Mon père, je l'adorais malgré ses positions étranges sur le patriarcat et la nécessité d'avoir un mâle dans une famille. J'essaie de le raconter avec mes yeux d'enfant. Pas facile. Mais l'exercice est amusant. Il faut se défaire de son vocabulaire de "grand". J'ai pas trop de mal tu me dirais, parce que je cause encore comme si j'avais 10 ans. Au grand dam de ma fille aînée qui se fout de moi avec tendresse.

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