Ce sera tout à fait
Comme à la radio
Ce ne sera rien
Rien que de la musique
Ce ne sera rien
Rien que des mots des mots des mots
Comme à la radio
Ca ne dérangera pas
Ca n'empêchera pas de jouer aux cartes
Ca n'empêchera pas de dormir sur l'autoroute
Ca n'empêchera pas de parler d'argent
Nayez pas peur
Ce sera tout à fait
Comme à la radio
Ce ne sera rien
Juste pour faire du bruit
Le silence est atroce
Quelque chose est atroce aussi
Entre les deux c'est la radio
Tout juste un peu de bruit
Pour combler le silence
Tout juste un peu de bruit
N'ayez pas peur
Ce sera tout à fait
Comme a là radio
A cette minute, des milliers de chats se feront écraser sur les routes;
à cette minute, un médecin alcoolique jurera au dessus du corps d'une jeune fille et il dira "elle ne va pas me claquer entre les doigts la garce";
à cette minute, cinq vieilles dans un jardin public entameront la question de savoir s'il est moins vingt ou moins cinq;
à cette minute des milliers et des milliers de gens penseront que la vie est horrible et ils pleureront;
à cette minute, deux policiers entreront dans une ambulance et ils jetteront dans la rivière un jeune homme blessé à la tête;
à cette minute un espagnol sera bien content d'avoir trouvé du travail
Il fait froid dans le monde
Ca commence à se savoir
Et il y a des incendies qui s'allument dans certains endroits parce qu'il fait trop froid
Traducteur, traduisez
Mais N'ayez pas peur
On sait ce que c'est que la radio Il ne peut rien s'y passer
Rien ne peut avoir d'importance
Ce n'est rien
Ce n'était rien Juste pour faire du bruit
Juste de la musique
Juste des mots des mots
Des mots des mots
Tout juste un peu de bruit
Tout juste un peu de bruit
Comme à la radio
Brigitte Fontaine
30 juin 2010
28 juin 2010
pour Yvan
A l"écoute du morceau de Reich que tu nous as offert ce matin, m'est venu en écho ce disque que ma fille m'a rapporté de son voyage en Indonésie... Comme un petit air de cousinage, je l'écoute en boucle, il me parle de terre, d'eau et d'arbres, tranquillement zen...
Le sourire de Gandhi
"La civilisation, au vrai sens du terme, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement. C'est le seul moyen pour connaître le vrai bonheur et nous rendre plus disponible aux autres [...] Il faut un minimum de bien-être et de confort ; mais, passé cette limite, ce qui devait nous aider devient une source de gêne. Vouloir créer un nombre illimité de besoins pour avoir ensuite à les satisfaire n'est que poursuivre du vent. Ce faux idéal n'est qu'un traquenard."
Mahatma Gandhi - 1869-1948 - Lettre à l'âshram - 1971
26 juin 2010
25 juin 2010
23 juin 2010
Steve Reich Violin Phase
L'association de la musique répétitive de Reich et la fluidité de la danse d'Anne Teresa de Keersmaeker, fondatrice et chorégraphe de la Compagnie Rosas m'ont valu bien des moments d'intense plaisir lorsque je découvrais "Fase", quatre mouvements pour musique de Reich, il y a presque 30 ans. Voici 15 minutes de danse comme en plongée dans cet univers visuel et sonore plein de légereté où le mouvement épouse la musique.
22 juin 2010
Palimpsestes spirituels
J'aime son travail sur papier ocre, ses toiles mi-fresques mi-dessins chargées de spiritualité et empreintes de sa fascination d'enfant pour les peintres de la Renaissance.
Peuplée d'anges sans ailes, son oeuvre est une expression raffinée et discrète de l'empreinte du catholicisme de son pays d'origine.
Petite visite dans l'univers d'Hanna Sidorowicz et ses "palimpsestes spirituels".21 juin 2010
Marina Tsvetaeva
Sur une feuille vide et lisse
Les lieux, les noms, tous les indices,
Même les dates disparaissent.
Mon âme est née, où donc est-ce ?
Toute maison m'est étrangère,
Pour moi tous les temples sont vides,
Tout m'est égal, me désespère,
Sauf le sorbier d'un sol aride…
Ô larmes des obsèques,
Cris d'amour impuissants !
Dans les pleurs sont les Tchèques,
L'Espagne est dans le sang.
Comme elle est noire et grande,
La foule des malheurs !
Il est temps que je rende
Mon billet au Seigneur.
Dans ce Bedlam des monstres
Ma vie est inutile ;
À vivre je renonce
Parmi les loups des villes.
Hurlez, requins des plaines !
Je jette mon fardeau,
Refusant que m'entraîne
Ce grand courant des dos...
Voir... Non, je ne consens,
Écouter... Pas non plus ;
À ce monde dément
J'oppose mon refus !
(traduction Véronique Lossky)
Marina Tsvetaeva, écrivain russe
MARS -
15 mars-11 mai 1939.
20 juin 2010
largage dominical #11
C'était un forfait parfait, un vrai forfait bien fait,
Car on est des fortiches.
Le client était futé, alors on l'a buté
Pour faucher ses potiches.
C'est Arthur qu'y'était chargé de se débarrasser
De son cadavre moche
Mais Arthur a rappliqué en murmurant: "Ça cloche!
Je sais pas où il est passé."
"Hein?
Arthur, où t'as mis le corps?", qu'on s'est écrié en choeur.
"Ben je sais pus où je l'ai foutu, les mecs."
"Arthur réfléchis non de delà! Ça une certaine importance."
"Ce que je sais, c'est qu'il est mort, ça les gars je vous le garantis,
Mais bon sang c'est trop fort je me rappelle pus où ce que je l'ai mis!"
Mais le marchand d'antiquités avant d'être liquidé
Avait pris le bidophone
Et nous voilà dans la brousse, un car de flics aux trousses.
On la trouvait moins bonne.
On a loupé un tournant et on se retrouve en plan
Au milieu d'une vitrine.
Les poulets s'amènent en tas et puis ils nous cuisinent
Dans la petite pièce du bas.
"Ouille!
Arthur, où t'as mis le corps?" s'écriaient les inspecteurs.
"Ben je sais pus où je l'ai foutu, les mecs."
"Arthur réfléchis non de delà! Ça une certaine importance."
"Ce que je sais, c'est qu'il est mort, ça les gars je vous le garantis,
Mais bon sang c'est trop fort je me rappelle pus où ce que je l'ai mis!"
On a écopé dix ans. C'est plus que suffisant
Pour apprendre la belote.
On ne pouvait pas s'empêcher de toujours questionner
Notre malheureux pote.
Comme il maigrissait beaucoup on cognait plutôt mou,
Pour pas trop qu'il s'étiole.
Mais en nous-mêmes on pensait: Arthur se paie notre fiole.
Il nous fait tous marcher.
"Tu vas causer oui?
Arthur, où t'as mis le corps?", que tous les jours on lui de mandait.
Arthur, il en est mort et on sait pas où il est passé!
Ah la vache alors, Arthur.
Allons mes enfants, votre copain Arthur où l'avez-vous mis, hein?
Aucun de nous ne se rappelait plus ce qu'on avait foutu
De cet Arthur de merde
Et le directeur furax attrapait des anthrax
À l'idée qu'il se perde.
On a fait venir un devin qui lisait dans les mains
Et même dans les oreilles
Mais comme tout ça ne donnait rien un beau soir on essaie
Le spiritisme ancien.
Ça tourne les enfants ça tourne:
"Arthur, es-tu là?"
"Oui les gars."
"Arthur, où t'as mis ton corps?"
"Mais j'ai pus de corps, les gars."
"Arthur, as-tu du coeur?"
"Belote, les gars, rebelote et dix de der."
"Ah..."
Et on a enfin compris que ce salaud d'Arthur était au paradis.
Arthur, où t'as mis le corps
Boris Vian
Car on est des fortiches.
Le client était futé, alors on l'a buté
Pour faucher ses potiches.
C'est Arthur qu'y'était chargé de se débarrasser
De son cadavre moche
Mais Arthur a rappliqué en murmurant: "Ça cloche!
Je sais pas où il est passé."
"Hein?
Arthur, où t'as mis le corps?", qu'on s'est écrié en choeur.
"Ben je sais pus où je l'ai foutu, les mecs."
"Arthur réfléchis non de delà! Ça une certaine importance."
"Ce que je sais, c'est qu'il est mort, ça les gars je vous le garantis,
Mais bon sang c'est trop fort je me rappelle pus où ce que je l'ai mis!"
Mais le marchand d'antiquités avant d'être liquidé
Avait pris le bidophone
Et nous voilà dans la brousse, un car de flics aux trousses.
On la trouvait moins bonne.
On a loupé un tournant et on se retrouve en plan
Au milieu d'une vitrine.
Les poulets s'amènent en tas et puis ils nous cuisinent
Dans la petite pièce du bas.
"Ouille!
Arthur, où t'as mis le corps?" s'écriaient les inspecteurs.
"Ben je sais pus où je l'ai foutu, les mecs."
"Arthur réfléchis non de delà! Ça une certaine importance."
"Ce que je sais, c'est qu'il est mort, ça les gars je vous le garantis,
Mais bon sang c'est trop fort je me rappelle pus où ce que je l'ai mis!"
On a écopé dix ans. C'est plus que suffisant
Pour apprendre la belote.
On ne pouvait pas s'empêcher de toujours questionner
Notre malheureux pote.
Comme il maigrissait beaucoup on cognait plutôt mou,
Pour pas trop qu'il s'étiole.
Mais en nous-mêmes on pensait: Arthur se paie notre fiole.
Il nous fait tous marcher.
"Tu vas causer oui?
Arthur, où t'as mis le corps?", que tous les jours on lui de mandait.
Arthur, il en est mort et on sait pas où il est passé!
Ah la vache alors, Arthur.
Allons mes enfants, votre copain Arthur où l'avez-vous mis, hein?
Aucun de nous ne se rappelait plus ce qu'on avait foutu
De cet Arthur de merde
Et le directeur furax attrapait des anthrax
À l'idée qu'il se perde.
On a fait venir un devin qui lisait dans les mains
Et même dans les oreilles
Mais comme tout ça ne donnait rien un beau soir on essaie
Le spiritisme ancien.
Ça tourne les enfants ça tourne:
"Arthur, es-tu là?"
"Oui les gars."
"Arthur, où t'as mis ton corps?"
"Mais j'ai pus de corps, les gars."
"Arthur, as-tu du coeur?"
"Belote, les gars, rebelote et dix de der."
"Ah..."
Et on a enfin compris que ce salaud d'Arthur était au paradis.
Arthur, où t'as mis le corps
Boris Vian
19 juin 2010
Sans titre
"(...) Il y a de bonnes raisons d'interdire le LSD, le DMT, le STP, on peut bousiller définitivement sa tête avec, mais pas plus qu'au ramassage des betteraves ou en bossant à la chaîne chez General Motors, en faisant la plonge ou en enseignant l'anglais dans une fac. Si on interdisait tout ce qui nous rend dingues, toute la société y passerait : le mariage, la guerre, le métro, les abattoirs, les clapiers, les tables d'opération, etc. Tout peut virtuellement nous faire craquer parce que la société repose sur des piliers pourris. (...)"
Charles Bukowski (Nouveaux contes de la folie ordinaire / Editions Grasset / Livre de poche), traduction de Léon Mercadet.
Charles Bukowski (Nouveaux contes de la folie ordinaire / Editions Grasset / Livre de poche), traduction de Léon Mercadet.
16 juin 2010
15 juin 2010
Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des biens nantis
Son dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des biens nantis me fait toujours marrer, surtout les soirs de grande fatigue.
Allez, je vous offre le "r", c'est un régal :
*r
Rouquin
adj. et n.
On reconnaît le rouquin aux cheveux du père, et le requin aux dents de la mère.
13 juin 2010
Interminable chantier
De grands cernes bleus marquent le visage de la femme qui me sourit. A chacune de mes visites, elle semble plus fatiguée et un peu plus désespérée. Vendre cette maison avant l’été est pour elle désormais une obsession angoissante. Elle tente chaque jour d’arrêter son homme dans sa tentative de terminer tout ce qui devait être fait. Il s’active, il transpire. Quand il m’ouvre le portail je le vois ruisselant de sueur, continuant inlassablement de poser des pilers, de couler du béton, de finir un mur. Ses chiens ont piétiné le ciment encore frais de la dalle du garage et les visiteurs sont moyennement amusés par la vue des traces de pattes désormais gravées dans le sol. Les premières visites ont été décevantes. J’ai tenté de lui faire comprendre que sa détermination à tout terminer dans l’urgence ne lui permettrait pas de vendre plus cher, il ne veut rien savoir. Ce que les yeux de cet homme et de cette femme n’ont jamais vu où ne peuvent plus voir saute à ceux de leurs acheteurs potentiels. Je n’ai pas le cœur de leur faire le récit des commentaires cruels qui me sont livrés après chaque passage :« Cette maison est sabotée, il faut tout reprendre ou presque des grossiers bricolages ». II y a cinq, ces gens se sont jetés dans la gueule du loup. Après avoir payé le terrain une fortune ils n’avaient plus assez d’argent pour financer la construction sur plans. Ils se sont fait livrer une maison pas vraiment finie et l’ont terminée eux-mêmes. Le temps a passé. Les matériaux sont arrivés petit à petit, un petit crédit par ici, un autre par là. Tous à des taux d’intérêts faramineux. Elle est mutée à 800 kilomètres. Il faut partir, rembourser les dettes, recommencer une nouvelle vie. La tension est palpable. Les mots qu’ils ne prononcent pas se lisent dans leurs yeux et je ne sais pas que faire pour les aider à s’en sortir sans trop de casse. Ils m’ont annoncé le montant qu’ils doivent rembourser et j’ai compris qu’il serait impossible pour eux de revendre la maison au prix qu’elle a coûté. Je la fais visiter mais ne peux éviter que les gens voient tout ce qui cloche et qui fait obstacle à la vente. C’est dur pour eux, c’est pénible pour moi de voir chacun camper sur ses positions : lui qui veut à tout prix finir en bâclant chaque jour un peu plus et elle qui ne veut rien d’autre que vendre même à perte et partir au plus vite. Leur petit jardin est en friche, dévasté par les amas de matériaux divers que l’homme laisse traîner. Je l’imagine le soir épuisé d’avoir réussi à faire si peu, se levant tôt le matin pour tenter de terminer son interminable chantier. Ses finitions sont un massacre et il est de plus en plus épuisé et coléreux. Il enrage qu’on ne respecte pas son travail. Je voudrais avoir la force de l’arrêter. Je n’ai pas le courage de lui dire de tout ranger proprement dans un coin, de nettoyer simplement le jardin et de vendre en l’état. J’aime bien leur maison malgré ses défauts. Leurs bricolages ont quelque chose d’émouvant et sont le reflet de leur simplicité. Mais les acheteurs ne voient pas les choses sous cet angle. Comme souvent ici, la maison a été sur-évaluée. Je n’ai à vendre que les maisons simples de gens simples qui se sont fait arnaquer pour la plupart par les rapaces d’ici, dans ce sud où le soleil se paye au prix fort. Que faire quand après quelques années, ils ont à peine fini de rembourser les intérêts et qu’il reste encore tout le capital ? Il faudrait empêcher les promoteurs véreux de vendre des terrains minuscules à prix d’or et les banques de fourguer des produits financiers qui sont des gouffres. Je me sens impuissante et triste devant des situations pour lesquelles je n’ai pas de solution. Sinon celle d’amener à une vente à la valeur réelle et de contribuer moi aussi finalement au malheur de gens qui ne méritent pas de payer si cher leur désir d'avoir eu, un jour, une maison à eux.
10 juin 2010
Drôle de job
Un jour sans doute dans un passé pas si lointain, ils ont été une famille. Six enfants tous adultes à présent. Le père est mort en 2005, la mère il y a quelques mois. Elle avait 80 ans. Elle vivait dans cette petite maison de village. Rien n’a bougé depuis qu’elle est morte, ou presque. Je l’imagine sans peine lorsque, la parcourant, sa présence de vieille femme se matérialise devant le peu de confort qu’offre la maison. Je me demande comment elle faisait pour monter et descendre les escaliers si étroits que j’emprunte plusieurs fois en faisant attention à ne pas me cogner la tête. Cette maison est triste comme les rapports qui lient à présents les membres de cette famille. Le moment est venu pour eux de se partager le maigre patrimoine laissé par un père et une mère besogneux. Il reste deux ou trois choses, un verger quelque part dans la campagne, et puis cette bâtisse, coincée entre deux autres, dont les murs épais garantissent une fraîcheur que la visite tendue de cet après-midi contribue largement à entretenir. Je ne suis pas la bienvenue. Je suis ici par le choix de quelques uns mais les autres ne sont pas favorables à mon intervention et me le font sentir. Un notaire peu scrupuleux sans doute leur a annoncé un prix qui n’a fait que charger d’un peu plus de convoitise le poids de leurs fâcheries de frères et sœurs. Ils ne se parlent pas. Seuls trois d’entre eux sont conscients des difficultés que nous rencontrerons pour vendre cette maison. Je ne sais même pas si un acheteur proposera quoi que ce soit.
- Jean-Claude ne signera pas, il me l’a dit.
- …
- Jean-Claude est un crétin, t‘as qu’à lui dire que si y signe pas, y va avoir affaire à moi.
- S’il manque des signatures, on ne peut pas la mettre en vente.
- Comment ça pas mettre en vente ?
- Eh bien, je ne peux pas mettre en vente sans l’accord de tous les héritiers. Il faut que tout le monde signe, sinon je ne peux rien faire.
- …
- Les autres veulent pas vendre à ce prix là, c’est pas assez cher !
- Avez vous eu des propositions ?
- Non des gens sont venus visiter mais personne veut l’acheter.
- …
- C’est la maison de ma mère, je vais pas la donner quand même !
- Il n’est pas question de la donner, mais il faut quand même avoir le sens des réalités, il y a pas mal de travaux, donc il faut baisser le prix ou faire les travaux et la vendre après.
- Personne ne dépensera un centime pour des travaux, ça non !
- ….
Une heure plus tard, je suis toujours là, il ne me manque plus qu’une signature. J’ai assisté impuissante à leurs engueulades. L’une d’entre eux est allée faire signer le mandat par son frère habitant à deux pas mais fâché avec le reste de la famille. Il n’a pas voulu se déplacer. Je vois déjà d’ici la scène chez le notaire si je parviens à trouver un acheteur. Des affaires comme celle là, je ne devrais pas les prendre. Je suis déjà épuisée de me trouver mêlée à leur passé chargé de haine et de rancœur.
Je contemple le visage plein de douceur de la seule des enfants que je connaisse. Notre connivence est silencieuse. Elle me sourit. Je l’ai souvent reçue dans mon restaurant. Elle y venait avec son mari et son fils. De temps en temps ils arrivaient avec l’argent économisé et s’offraient leur repas de gala, le meilleur vin, de bons alcools. Je les installais à notre plus belle table et leur petite fête se prolongeait bien après le départ des autres clients. Ils repartaient grisés et heureux après avoir claqué joyeusement cet argent qu’ils avaient peiné à gagner. Aujourd’hui, la douce petite femme se retrouve coincée au milieu des appétits féroces des uns et des autres, discrète et soumise à leur volonté. Elle s’en fout, me dit-elle, de cet argent. En m’éloignant des visages aigris de ses frères et soeurs, je lui dis discrètement que je l’approuve. Nous franchissons ensemble la porte de la maison que je referme. Je suis désormais gardienne des clés, par le miracle d’une décision collective enfin obtenue. Il ne me reste plus qu’à trouver quelqu’un qui voudra faire revivre cette petite bicoque. Je sais qu’ici tout se vend, mais cette mission a un goût amer, et je ne suis pas très pressée de me retrouver à nouveau en face de cette tribu déchirée.
J’ai rien trouvé d’autre pour tenter de gagner ma vie pour le moment. Mais parfois, je me dis que vraiment, non vraiment, je ne suis pas faite pour ce boulot.
09 juin 2010
La lumière est comme l'eau
Pour Noël, les enfants redemandèrent un bateau à rames.
"D'accord, dit le père, on l'achètera en rentrant à Cartagena."
Totó, qui avait neuf ans, et Joel, sept ens, étaient plus têtus que ne le croyaient leurs parents.
"Non, s'écrièrent-ils en choeur. On le veut ici et tout de suite.
- Pour commencer, répondit la mère, ici la seule eau navigable est celle de la douche."
Les parents avaient raison. A Cartagena de Indias, ils possédaient une maison avec un jardin, une digue qui s'enfonçait dans les eaux de la baie et un abri pour deux grands yachts. En revanche, à Madrid, ils vivaient les uns sur les autres au cinquième étage du numéro 47 du paseo de la Castellana. Mais au bout du compte ni l'un ni l'autre n'eurent le coeur de le leur refuser car ils leur avaient promis un bateau avec des rames, un sextant et une boussole s'ils étaient les premiers de la classe, et ils l'avaient été. De sorte que le père acheta le tout sans rien dire à son épouse qui, des deux, se montrait la plus réticente à payer les dettes de jeu. C'était un magnifique bateau en aluminium avec un filet doré qui marquait la ligne de flottaison.
"Le bateau est dans le garage, avoua le père pendant le déjeuner. Le problème c'est qu'il n'entre pas dans l'ascenseur, qu'il ne passe pas dans l'escalier, et que dans le garage il n'y a plus de place."
Mais le samedi après-midi, les enfants invitèrent des camarades pour qu'ils les aident à monter le bateau par l'escalier et ils parvinrent à le porter jusque dans la chambre de service.
"Bravo, leur dit le père. Et maintenant ?
- Maintenant rien, répondirent les enfants. On voulait juste avoir le bateau dans la chambre, et c'est fait."
Le mercredi soir, comme tous les mercredis, les parents allèrent au cinéma. Les enfants, maîtres et seigneurs des lieux, fermèrent portes et fenêtres et brisèrent l'ampoule allumée d'une des lampes du salon. Un torrent de lumière dorée et fraîche comme de l'eau s'en échappa, et ils la laisserent s'écouler jusqu'à ce qu'elle atteigne une hauteur de vingt cinq centimètres. Alors ils coupèrent le courant, allèrent chercher le bateau, et naviguerent, ravis, entre les îles de la maison.
Cette fabuleuse aventure fut le résultat d'une de mes imprudences un jour que je participais à un séminaire sur la poésie des ustensiles ménagers. Totó m'avait demandé comment on pouvait faire surgir la lumière en appuyant sur un simple bouton et je n'eus pas le courage de réfléchir deux fois à la réponse.
"La lumiere, c'est comme l'eau, lui répondis-je: on ouvre le robinet et elle sort."
De sorte qu'ils poursuivirent leur navigation tous les mercredis soir, apprirent à se servir du sextant et de la boussole, et lorsque leurs parents rentraient du cinéma, ils les trouvaient endormis comme deux angelots terrestres. Quelques mois plus tard, désireux d' en avoir plus, ils demandèrent un équipement complet de plongée sous-marine, avec masques, palmes, bouteilles et fusils à air comprimé.
"C'est déja stupide d'avoir un bateau à rames dans la charnbre de service et qui ne sert à rien, dit le père. Mais ce le serait encore plus d'avoir des équipements de plongée.
- Et si on a le prix d' excellence? dit Joel .
- Non, dit la mère, effrayée. C'est fîni."
Le père lui reprocha son intransigeance.
"Ces enfants ne font pas le moindre effort pour faire cequ'ils doivent faire, dit la mère, mais pour un caprice ils sont capables de décrocher la lune."
A la fin, les parents ne répondirent ni oui ni non. Mais Toto et Joel, qui les deux années précédentes avaient été les derniers de la classe, remportèrent au mois de juillet le prix d'excellence et reçurent les félicitations du directeur. L'apres-midi, sans qu'ils aient eu à les redemander, ils trouvèrent dans leur chambre les équipements de plongée dans leur emballage d'origine. De sorte que le mercredi suivant, tandis que leurs parents voyaient Le Dernier Tango a Paris,ils remplirent l'appartement à hauteur de deux brasses plongèrent comme de doux requins sous les meubles et les lits, et remontèrent du fond de la lumière les objets qui, depuis desannées, étaient perdus dans le noir.
Le jour des prix, les deux frères furent acclamés comme un exemple pour l'école et on leur remit leurs diplômes. Cette fois ils n'exigèrent rien parce que les parents ne leur avaient pas demandé ce qutils désiraient. Ils furent si raisonnables qu'ils se contentèrent d'une fête à la maison pour faire plaisir à leurs camarades d'école.
Le père, une fois seul avec sa femme, se montra ravi.
" C'est une preuve de maturité, dit-il.
- Le ciel t'entende", répondit la mère.
Le mercredi suivant, pendant que les parents voyaient La Bataille d'Alger, les passants qui se trouvaient sur le paseo de la Castellana aperçurent un flot de lumière tombant d'un vieil immeuble dissimulé derrière les arbres. Elle sortait par les balcons et se répandait en cascade sur la façade avant de s'écouler sur la grande avenue en un torrent doré qui illuminait la ville jusqu'a la sierra de Guadarrama.
Appelés d'urgence, les pompiers forcèrent la porte du cinquième étage et trouvèrent l'appartement inondé de lumière jusqu'au plafond. Le canapé et les fauteuils tapissés de peau de léopard flottaient dans le salon à différentes hauteurs, parmi les bouteilles du bar, le piano à queue et son châle andalou qui voletait comme une grande raie couleur d'or. Les ustensiles ménagers, dans la plénitude de leur poésie, volaient de leurs propres ailes dans le ciel de la cuisine. Les instruments de la fanfare rnilitaire, que les enfants utilisaient pour danser, flottaient à la dérive parmi les poissons multicolores échappés de l'aquarium, seules créatures vivantes et heureuses dans le vaste marécage éclaboussé de lumière.
Dans la salle de bains flottaient les brosses à dents de toute la famille, les préservatifs du père, les pots de crème et le dentier de rechange de la mère, et le téléviseur de la chambre donnait de la bande avec, sur l'écran, la dernière image du film de minuit interdit aux enfants.
A l'extrémité du couloir, flottant entre deux eaux, Totó, assis à la poupe du bateau, agrippé aux rames, son masque sur le visage, avait guetté le phare du port aussi longtemps que l'oxygène des bouteilles le lui avait permis, et Joel flottait à la proue cherchant l'étoile polaire à l'aide du sextant, et leurs trente-sept camarades flottaient dans toute la maison, immortalisés à l'instant précis ou ils urinaient sur les géraniums de la jardinière, où ils chantaient l'hymne de leur école dont ils avaient changé les paroles pour mieux se moquer du directeur, où ils buvaient en catimini un verre de brandy de la bouteille du père. Car ils avaient ouvert tant de lumières à la fois que la maison en avait été inondée et que toute la classe de quatrième de l'école élémentaire de Saint-Julien-l'Hospitalier s'était noyée au numéro 47 du paseo de la Castellana. En Espagne, à Madrid, une ville ancestrale aux étés torrides et aux vents glacials, sans mer ni fleuve, et dont les aborigènes terriens n'avaient jamais maîtrisé l'art de naviguer dans la lumière.
Douze contes vagabonds - Gabriel García Márquez, nouvelle écrite en Décembre 1978
"D'accord, dit le père, on l'achètera en rentrant à Cartagena."
Totó, qui avait neuf ans, et Joel, sept ens, étaient plus têtus que ne le croyaient leurs parents.
"Non, s'écrièrent-ils en choeur. On le veut ici et tout de suite.
- Pour commencer, répondit la mère, ici la seule eau navigable est celle de la douche."
Les parents avaient raison. A Cartagena de Indias, ils possédaient une maison avec un jardin, une digue qui s'enfonçait dans les eaux de la baie et un abri pour deux grands yachts. En revanche, à Madrid, ils vivaient les uns sur les autres au cinquième étage du numéro 47 du paseo de la Castellana. Mais au bout du compte ni l'un ni l'autre n'eurent le coeur de le leur refuser car ils leur avaient promis un bateau avec des rames, un sextant et une boussole s'ils étaient les premiers de la classe, et ils l'avaient été. De sorte que le père acheta le tout sans rien dire à son épouse qui, des deux, se montrait la plus réticente à payer les dettes de jeu. C'était un magnifique bateau en aluminium avec un filet doré qui marquait la ligne de flottaison.
"Le bateau est dans le garage, avoua le père pendant le déjeuner. Le problème c'est qu'il n'entre pas dans l'ascenseur, qu'il ne passe pas dans l'escalier, et que dans le garage il n'y a plus de place."
Mais le samedi après-midi, les enfants invitèrent des camarades pour qu'ils les aident à monter le bateau par l'escalier et ils parvinrent à le porter jusque dans la chambre de service.
"Bravo, leur dit le père. Et maintenant ?
- Maintenant rien, répondirent les enfants. On voulait juste avoir le bateau dans la chambre, et c'est fait."
Le mercredi soir, comme tous les mercredis, les parents allèrent au cinéma. Les enfants, maîtres et seigneurs des lieux, fermèrent portes et fenêtres et brisèrent l'ampoule allumée d'une des lampes du salon. Un torrent de lumière dorée et fraîche comme de l'eau s'en échappa, et ils la laisserent s'écouler jusqu'à ce qu'elle atteigne une hauteur de vingt cinq centimètres. Alors ils coupèrent le courant, allèrent chercher le bateau, et naviguerent, ravis, entre les îles de la maison.
Cette fabuleuse aventure fut le résultat d'une de mes imprudences un jour que je participais à un séminaire sur la poésie des ustensiles ménagers. Totó m'avait demandé comment on pouvait faire surgir la lumière en appuyant sur un simple bouton et je n'eus pas le courage de réfléchir deux fois à la réponse.
"La lumiere, c'est comme l'eau, lui répondis-je: on ouvre le robinet et elle sort."
De sorte qu'ils poursuivirent leur navigation tous les mercredis soir, apprirent à se servir du sextant et de la boussole, et lorsque leurs parents rentraient du cinéma, ils les trouvaient endormis comme deux angelots terrestres. Quelques mois plus tard, désireux d' en avoir plus, ils demandèrent un équipement complet de plongée sous-marine, avec masques, palmes, bouteilles et fusils à air comprimé.
"C'est déja stupide d'avoir un bateau à rames dans la charnbre de service et qui ne sert à rien, dit le père. Mais ce le serait encore plus d'avoir des équipements de plongée.
- Et si on a le prix d' excellence? dit Joel .
- Non, dit la mère, effrayée. C'est fîni."
Le père lui reprocha son intransigeance.
"Ces enfants ne font pas le moindre effort pour faire cequ'ils doivent faire, dit la mère, mais pour un caprice ils sont capables de décrocher la lune."
A la fin, les parents ne répondirent ni oui ni non. Mais Toto et Joel, qui les deux années précédentes avaient été les derniers de la classe, remportèrent au mois de juillet le prix d'excellence et reçurent les félicitations du directeur. L'apres-midi, sans qu'ils aient eu à les redemander, ils trouvèrent dans leur chambre les équipements de plongée dans leur emballage d'origine. De sorte que le mercredi suivant, tandis que leurs parents voyaient Le Dernier Tango a Paris,ils remplirent l'appartement à hauteur de deux brasses plongèrent comme de doux requins sous les meubles et les lits, et remontèrent du fond de la lumière les objets qui, depuis desannées, étaient perdus dans le noir.
Le jour des prix, les deux frères furent acclamés comme un exemple pour l'école et on leur remit leurs diplômes. Cette fois ils n'exigèrent rien parce que les parents ne leur avaient pas demandé ce qutils désiraient. Ils furent si raisonnables qu'ils se contentèrent d'une fête à la maison pour faire plaisir à leurs camarades d'école.
Le père, une fois seul avec sa femme, se montra ravi.
" C'est une preuve de maturité, dit-il.
- Le ciel t'entende", répondit la mère.
Le mercredi suivant, pendant que les parents voyaient La Bataille d'Alger, les passants qui se trouvaient sur le paseo de la Castellana aperçurent un flot de lumière tombant d'un vieil immeuble dissimulé derrière les arbres. Elle sortait par les balcons et se répandait en cascade sur la façade avant de s'écouler sur la grande avenue en un torrent doré qui illuminait la ville jusqu'a la sierra de Guadarrama.
Appelés d'urgence, les pompiers forcèrent la porte du cinquième étage et trouvèrent l'appartement inondé de lumière jusqu'au plafond. Le canapé et les fauteuils tapissés de peau de léopard flottaient dans le salon à différentes hauteurs, parmi les bouteilles du bar, le piano à queue et son châle andalou qui voletait comme une grande raie couleur d'or. Les ustensiles ménagers, dans la plénitude de leur poésie, volaient de leurs propres ailes dans le ciel de la cuisine. Les instruments de la fanfare rnilitaire, que les enfants utilisaient pour danser, flottaient à la dérive parmi les poissons multicolores échappés de l'aquarium, seules créatures vivantes et heureuses dans le vaste marécage éclaboussé de lumière.
Dans la salle de bains flottaient les brosses à dents de toute la famille, les préservatifs du père, les pots de crème et le dentier de rechange de la mère, et le téléviseur de la chambre donnait de la bande avec, sur l'écran, la dernière image du film de minuit interdit aux enfants.
A l'extrémité du couloir, flottant entre deux eaux, Totó, assis à la poupe du bateau, agrippé aux rames, son masque sur le visage, avait guetté le phare du port aussi longtemps que l'oxygène des bouteilles le lui avait permis, et Joel flottait à la proue cherchant l'étoile polaire à l'aide du sextant, et leurs trente-sept camarades flottaient dans toute la maison, immortalisés à l'instant précis ou ils urinaient sur les géraniums de la jardinière, où ils chantaient l'hymne de leur école dont ils avaient changé les paroles pour mieux se moquer du directeur, où ils buvaient en catimini un verre de brandy de la bouteille du père. Car ils avaient ouvert tant de lumières à la fois que la maison en avait été inondée et que toute la classe de quatrième de l'école élémentaire de Saint-Julien-l'Hospitalier s'était noyée au numéro 47 du paseo de la Castellana. En Espagne, à Madrid, une ville ancestrale aux étés torrides et aux vents glacials, sans mer ni fleuve, et dont les aborigènes terriens n'avaient jamais maîtrisé l'art de naviguer dans la lumière.
Douze contes vagabonds - Gabriel García Márquez, nouvelle écrite en Décembre 1978
07 juin 2010
architecture de la densité
Je suis tombée la-dessus par hasard ce matin.
Hum, sacrée photo, me suis-je dit.
Pis j'ai regardé les autres,
"architecture de la densité",
Ça, y a pas de doute.
http://www.photomichaelwolf.com/hongkongarchitecture/
Hum, sacrée photo, me suis-je dit.
Pis j'ai regardé les autres,
"architecture de la densité",
Ça, y a pas de doute.
http://www.photomichaelwolf.com/hongkongarchitecture/
06 juin 2010
Chambre d'hôtel
J'ai écrit ce souvenir pour répondre à l'invitation de Blue.
Sur ses pages, on peut lire ce week-end des merveilleux textes d'auteurs aussi inspirés qu'inspirants.
C'était chouette de se prêter à l'exercice.
Tes mensonges étaient notre lien secret depuis plusieurs mois. Nous étions devenus les passagers de chambres louées l'espace de quelques heures, nos corps à corps fiévreux se transformant peu à peu en brèves étreintes lasses.
Je te regardais ôter soigneusement mes cheveux blonds de ta veste et tu m’abandonnais dans les draps salis à peine réchauffés de ces instants glacés pour une nuit blanche comme la rage que je ressentais parfois à être encore et toujours prête à te rejoindre dans ces lits, abandonnant mes vêtements sur les moquettes ternes ou les fauteuils aux couleurs délavées de ces haltes aussi déplaisantes que le goût amer que me laissaient à chaque fois tes baisers furtifs et coupables.
Les kilomètres d'asphalte défilaient sous mes yeux distraits par la pensée de ce rendez-vous dans une chambre luxueuse réservée pour deux nuits entières dans un hôtel caché au creux de la forêt. Je conduisais comme absente en un long songe troublant et intranquille.
Tu étais déjà là. Tu attendais en piétinant nerveusement près de ta voiture. Ton regard te trahissait. J'ai demandé pourquoi tu m'avais amenée ici. Le flot de tes paroles ravivait le souvenir des dîners presque muets dans les arrière-salles de restaurants infréquentés et les râles étouffés de nos ébats écourtés par ta crainte d'être surpris.
Cet endroit était ton plus beau souvenir avec elle. Son prénom résonnait en moi pendant que tu cherchais tes mots. La promesse de ces trois jours différents de tous les autres s’évanouissait lentement pendant que tes mots s’échouaient sur le roc de mon visage dévasté par une gigantesque marée trouble.
Je ne suis pas entrée dans la grande bâtisse. Lorsque je quittai la forêt pour rejoindre la côte, j’imaginai l’espace d’un instant une chambre lourdement meublée, des rideaux flottant devant de grandes fenêtres, une odeur de fleurs dans la douceur du soir. Puis je la vis rêvant dans la salle de bains de marbre blanc, plongée dans un bain odorant et s’enroulant ensuite dans un peignoir siglé, souriant dans le miroir biseauté au reflet de ton visage la contemplant amoureusement.
Une route prise au hasard me conduisit au pied d’une maison de pierres. Un vent marin soufflait au dehors lorsque j’entrai dans la pièce presque nue. Je posai mon sac sur l’unique chaise et le choc de mes clefs de voiture tombant sur le parquet ciré me sortit enfin de ma torpeur. Je réchauffai mon corps sous une douche aux robinets grinçants. Je tirai les persiennes et m’enfonçai dans le lit douillet où je me m’éveillai au matin sous le rayon tiède d’un timide soleil. J’aperçus au loin la plage longue et blonde et pensai que peut-être je pouvais aimer cette chambre et y rester quelques jours.
Sur ses pages, on peut lire ce week-end des merveilleux textes d'auteurs aussi inspirés qu'inspirants.
C'était chouette de se prêter à l'exercice.
Tes mensonges étaient notre lien secret depuis plusieurs mois. Nous étions devenus les passagers de chambres louées l'espace de quelques heures, nos corps à corps fiévreux se transformant peu à peu en brèves étreintes lasses.
Je te regardais ôter soigneusement mes cheveux blonds de ta veste et tu m’abandonnais dans les draps salis à peine réchauffés de ces instants glacés pour une nuit blanche comme la rage que je ressentais parfois à être encore et toujours prête à te rejoindre dans ces lits, abandonnant mes vêtements sur les moquettes ternes ou les fauteuils aux couleurs délavées de ces haltes aussi déplaisantes que le goût amer que me laissaient à chaque fois tes baisers furtifs et coupables.
Les kilomètres d'asphalte défilaient sous mes yeux distraits par la pensée de ce rendez-vous dans une chambre luxueuse réservée pour deux nuits entières dans un hôtel caché au creux de la forêt. Je conduisais comme absente en un long songe troublant et intranquille.
Tu étais déjà là. Tu attendais en piétinant nerveusement près de ta voiture. Ton regard te trahissait. J'ai demandé pourquoi tu m'avais amenée ici. Le flot de tes paroles ravivait le souvenir des dîners presque muets dans les arrière-salles de restaurants infréquentés et les râles étouffés de nos ébats écourtés par ta crainte d'être surpris.
Cet endroit était ton plus beau souvenir avec elle. Son prénom résonnait en moi pendant que tu cherchais tes mots. La promesse de ces trois jours différents de tous les autres s’évanouissait lentement pendant que tes mots s’échouaient sur le roc de mon visage dévasté par une gigantesque marée trouble.
Je ne suis pas entrée dans la grande bâtisse. Lorsque je quittai la forêt pour rejoindre la côte, j’imaginai l’espace d’un instant une chambre lourdement meublée, des rideaux flottant devant de grandes fenêtres, une odeur de fleurs dans la douceur du soir. Puis je la vis rêvant dans la salle de bains de marbre blanc, plongée dans un bain odorant et s’enroulant ensuite dans un peignoir siglé, souriant dans le miroir biseauté au reflet de ton visage la contemplant amoureusement.
Une route prise au hasard me conduisit au pied d’une maison de pierres. Un vent marin soufflait au dehors lorsque j’entrai dans la pièce presque nue. Je posai mon sac sur l’unique chaise et le choc de mes clefs de voiture tombant sur le parquet ciré me sortit enfin de ma torpeur. Je réchauffai mon corps sous une douche aux robinets grinçants. Je tirai les persiennes et m’enfonçai dans le lit douillet où je me m’éveillai au matin sous le rayon tiède d’un timide soleil. J’aperçus au loin la plage longue et blonde et pensai que peut-être je pouvais aimer cette chambre et y rester quelques jours.
04 juin 2010
Ecrivain mahousse ?
Le radio-réveil me tire comme chaque matin un peu brutalement de mon sommeil. Le flash d’infos de 7 heures et demie m’incite en général à baisser le son, pas trop envie d’entendre au saut du lit les nouvelles de plus en plus écœurantes. Je vais plutôt piocher l'info sur le Web une fois bien réveillée. Ce matin j'ai le temps de capter "le ministère de l’Éducation nationale a choisi le troisième tome des « Mémoires de guerre » de Charles de Gaulle pour l'intégrer au programme du baccalauréat français 2010-2011". Je ne suis pas prof mais les Mémoires de guerre du général dans des cours de littérature de classe de première, c'est assez étrange comme idée et ça m'inspire un vague sentiment de dégoût. Ça pue un peu la manipulation. Mais bon. Quelques recherches gougoulesques plus tard, j’en sais un peu plus sur «l’affaire» qui a mobilisé 1500 enseignants pétitionnaires contre ce projet. Sur lesquels plane désormais la suspicion : Le corps enseignant serait-il dans son ensemble hostile au réveil de la conscience nationale ? La démarche est pourtant claire et la question soulevée par les professeurs aussi : parlons nous d’histoire ou de littérature ? Certains écrivains montent au créneau pour défendre les talents du général édité à la Pléiade, sa belle plume, son génie littéraire ; et accusent les détracteurs du projet de ne pas avoir lu une seule ligne des mémoires.
En parcourant la presse j'ai lu quelques morceaux de bravoure visant à dénoncer la pétition des enseignants en évoquant parfois subtilement une fois de plus une manœuvre des théoriciens du complot. Uhm. Et puis je suis tombée sans doute pas par hasard sur cette phrase écrite en 1973, (année où j'ai passé le feu Bac A en dissertant sur Madame Bovary) par Michel Audiard, grand pourfendeur de la connerie :
«Une des grandes loufoqueries à la sortie des "Mémoires de guerre" a été de faire semblant de prendre le grand «Rantanplan» pour le nouveau sorcier du style, l’écrivain mahousse»
Cette phrase à elle seule contribue à sauver mon humeur. Il y a bien longtemps que je suis convaincue que c'est à nous parents de veiller à la culture littéraire de nos enfants. Les miens ont et auront toujours de fervents encouragements à dévorer les bouquins des auteurs qui ont éclairé ma vie et continuent à m’accompagner chaque jour dans le vaste et passionnant univers de la Littérature.
En parcourant la presse j'ai lu quelques morceaux de bravoure visant à dénoncer la pétition des enseignants en évoquant parfois subtilement une fois de plus une manœuvre des théoriciens du complot. Uhm. Et puis je suis tombée sans doute pas par hasard sur cette phrase écrite en 1973, (année où j'ai passé le feu Bac A en dissertant sur Madame Bovary) par Michel Audiard, grand pourfendeur de la connerie :
«Une des grandes loufoqueries à la sortie des "Mémoires de guerre" a été de faire semblant de prendre le grand «Rantanplan» pour le nouveau sorcier du style, l’écrivain mahousse»
Cette phrase à elle seule contribue à sauver mon humeur. Il y a bien longtemps que je suis convaincue que c'est à nous parents de veiller à la culture littéraire de nos enfants. Les miens ont et auront toujours de fervents encouragements à dévorer les bouquins des auteurs qui ont éclairé ma vie et continuent à m’accompagner chaque jour dans le vaste et passionnant univers de la Littérature.
02 juin 2010
Un charlatan dans mon grenier
La dame qui a téléphoné a dû recevoir une formation en béton armé. D’habitude je n’ai pas besoin de plus de quelques minutes pour éconduire tous les vendeurs par téléphone qui essaient de me fourguer des assurances ou des solutions miracle pour faire des économies. Mais là, je ne sais pas comment elle a réussi à me faire accepter ce rendez-vous avec un technicien des charpentes. Je devais être moyennement en forme quand elle a appelé. Bref, le mec est là devant ma porte, et je sens que ça va être copieux. Il commence par me faire un sketch du tonnerre en matant les poutres anciennes qui constituent le plafond du rez de chaussée de ma maison. Elles sont vieilles oui, et alors. « - Hé ben ma petite dame, on dirait que j’ai bien fait de venir ! »J’ai horreur qu’on m’appelle ma petite dame, t’es mal parti toi, me dis-je en regardant ce clown enfoncer son tournevis dans le bois un peu usé des poutres blondes. A t'il senti mon agacement où est-ce une partie de la méthode? Il déclare soudain que j’ai de la chance, car mes poutres ne sont pas attaquées par les capricornes. L’envie de le foutre dehors sans attendre qu’il tâte tous les murs avec son cruciforme commence sérieusement à poindre mais je reste calme et silencieuse. Le personnage est tellement caricatural que je laisse faire et je l’observe faisant son cirque. Il me demande s’il peut aller jeter un œil dans le grenier. Bon, allons donc voir le grenier. Il sort son masque et sa combinaison spéciale et passe négligemment les doigts dans ses cheveux bruns gominés. Il se prépare visiblement à une expédition très dangereuse. Je l’informe qu’il n’a rien à craindre,à part de la poussière, quelques cartons et des araignées, il ne trouvera rien de toxique dans mon grenier. Mais non, rien à faire, le show est bien rodé, comme celui de la téléprospectrice. J’ai à faire à des professionnels de leur profession. Il grimpe à l’échelle que je tiens quand même par précaution. J’attends en bas et je commence à m’amuser, convaincue que le diagnostic va être terrible. J’essaie d’imaginer ce qu’il va bien pouvoir trouver avec sa lampe et son tournevis. Il redescend et c’est à ce moment que le Grand Show démarre. Nous retournons dans la cuisine et il pose sur la table ses catalogues et son bloc notes. A ce moment une autre phase de la technique se déclenche sous mes yeux ahuris : il rectifie légèrement le col de sa chemisette bleu canard qui laisse entrevoir un torse velu et une chaîne dorée. Il entame l’énoncé du diagnostic : le toît de ma maison va me tomber sur la tête, prêt à s’effondrer si je ne réagis pas très vite. Aucune bestiole genre termite ou capricorne dans le bois, non, mais un champignon appelé mérule qui lentement mais sûrement détériore un peu plus chaque jour l’état de la charpente. Ce qui fait que, si je ne veux pas devoir dans quelques mois au mieux dans deux ans payer des sommes folles pour tout refaire je dois de toute urgence lui signer un bon de commande pour un traitement de ma toîture intérieur-extérieur pulvérisation isolation karcher injection d'anti -bestioles tous les vingt centimètre isolation ultra efficace nettoyage travail parfait méfiez-vous de ceux qui sont moins chers que nous ce sont des charlatans ! Je crois rêver tandis que je le laisse déballer l’artillerie. Planches couleur, dessins de bestioles en tout genre. Embrouille, contre-embrouille, dessins, aller-retour dans son classeur, un cours sur le bois, un cours sur les termites. Bizarrement rien sur les mérules. La somme est lancée : 1700 euros, et c’est un prix d’ami, parce qu’en vérité, ça coûte normalement beaucoup plus cher que ça. Il a justement un chantier la semaine prochaine sur le village, alors on prend rendez-vous tout de suite ? Je souris. Il croit que c’est gagné. Il ré-attaque : garantie décennale, charte de confiance, expertise qualité, réputation, exclusivité. Je pose deux ou trois questions auxquelles il ne répond pas. Il revient un peu sur les capricornes et les termites, me montre à nouveau ses photos de larves, de colonies. C’est impressionnant ! Je lance un « Oui mais y en a pas ! » « Mais ça pourrait ! » Ce type est un phénomène. Devant mon air décidément pas affolé pour un sou, il commence à perdre sa belle assurance technique et essaie une autre méthode : le charme. Et là, j’en ai subitement assez de son assurance de camelot de foire. Je lui annonce que de toute façon, va falloir qu’il revienne pour expliquer tout ça à mon compagnon, parce que je ne prends jamais aucune décision concernant la maison sans avoir son avis éclairé. Je lui propose donc de revenir plus tard pour convaincre mon homme, qui, je le préviens non sans cruauté, est un sacré dur à cuire ! Il tente un dernier "Ah mais je suis bien sûr que vous pourrez le convaincre sans moi !". Je parviens enfin à le mettre gentiment dehors, tout dépité. Je range mon échelle en me disant que oui, quand même il va falloir que je m'occupe un de ces quatre de la ventilation du grenier. Parce qu'en fait, chez moi, y a pas de mérules. A peine un poil d'humidité.
Le berceau de la vie
Vingt quatre heures sur vingt-quatre
Tournent les machines
Qui s'encrassent et se détraquent
Se calaminent
Et souvent tombent en panne
Vingt-quatre heures sur vingt-quatre
Mon cœur bat
Et quand il tombera en panne
Surtout ne t'inquiète pas
Car le tien continuera de battre
Comme le cœur de mes frères
D'amour et de colère
A travers le mien
O bébé
La mort est toujours proche
La mort est toujours là
J'ai le cerveau qui résonne
Comme une vieille cloche fêlée
baby bébé
La mort est toujours proche
La mort est toujours là
J'comprends pas c'qu'on m'reproche
Ni qui je suis ni c'que j'fous là
Mais bébé la mort
la mort est le berceau de la vie
laisse moi te
rouler une galoche
à la santé de l'amour fou
Pour compenser toutes ces taloches
Que la vie a filé
A mon papa
Garde le feeling au bout des doigts
Au bout des seins
Au creux des hanches
Et laisse le monter sur mes planches
Surtout ne le retiens pas
Loin des nostalgies résignées
Fais voir ta grâce et ta beauté
Dignes et jolies
S'éclater sur le bois de mes planches
Frapper du pied claquer des doigts
Chanter la folie la jouissance
L'amour de la vie
Digne et jolie
Jacques Higelin
"Aux héros de la Voltige"
01 juin 2010
Adieu Louise
Louise Bourgeois était une femme étonnante et impressionnante. Je me souviens de ma visite dans son univers lors d'une rétrospective à Paris il y a pas mal d'années. Souvent dérangeante, emportant le spectateur parfois jusqu'au malaise, elle a toujours chargé ses installations et ses sculptures de son vécu et raconté ainsi son histoire, trouble et pleine de secrets.
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