Te
voilà guéri, intrépide. Intrépide et stupide, secoué dans le désordre que tu
détestes, toujours en fuite de quelque chose, ton traîneau entouré de neige et
de loups.
Te
voilà guéri et seul, revenu l'hiver dans cette grande maison vide où tu
écrivais ce livre, entouré d'une famille. Tu écrivais ce livre dont tu corriges
les premières épreuves auxquelles tu ne comprends presque plus rien.
Intrépide
et stupide, encombré de tâches qui t'entraînent dans des tâches, essayant
d'atteindre un but que tu ornes comme un arbre de Noël.
As-tu
droit à Noël et à une maison calme ? As-tu le droit d'écrire ces oeuvres de
calme qui jugent les hommes et les condamnent à mort ?
L'autre
soir, pendant une conversation à table, tu as appris ton âge. Tu ne le savais
même pas car tu comptes mal et tu n'établissait pas le moindre rapport entre la
date de ta naissance et l'année où nous sommes. Quelque chose en toi en a été
stupéfait. Ce quelque chose s'est pernicieusement communiqué à l'organisme,
jusqu'à ce que tu te dises : "Je suis vieux." Tu préférais
sans doute t'entendre dire : "Tu es jeune", et croire ce que
te racontent les flatteurs.
Intrépide
et stupide, il te fallait prendre un parti. Cela limite la difficulté d'être,
puisque pour ceux qui embrassent une cause, ce qui n'est pas cette cause
n'existe pas.
Mais
toutes ces causes te sollicitent. Tu as voulu ne te priver d'aucune. Te glisser
entre toutes et faire passer le traîneau.
Eh
bien, débrouille-toi, intrépide ! Intrépide et stupide, avance. Risque d'être
jusqu'au bout.
Jean Cocteau
La difficulté d'être : postface