Il est cinq heures du matin.
Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour écrire cette lettre.
Cette nuit, le temps a peu d'importance.
Par chance, je ne travaille qu'à midi aujourd'hui, et le calme qui reviendra quand je t'aurai écrit ce que j'ai à t'écrire, effacera les traces de ce dimanche affreux que j'effacerai de ma mémoire, comme j'ai effacé les douleurs anciennes, renaissant de mes cendres, quand il le faut, pour garder en moi la joie d'exister et d'être libre.
Ce qui est difficile, c'est de devoir renoncer au bonheur entrevu...
Les images défilent dans ma tête à toute vitesse, ton sourire, ravageur, tes yeux, tes gestes, la douceur des moments de silence entre nous, si légers,et pourtant si profonds, la douceur des moments de complicité,la joie enfantine d'être ensemble, ta peau douce, la douceur des mains de ta maman... Tout ce que nous avons vécu ensemble pendant quelques jours, tout ce qui avait ouvert en moi la perspective d'un bonheur simple et sans nuages et que j'ai perdu, en quelques heures, en prenant brutalement conscience de ta cruauté et en entrevoyant cette souffrance que tu me réservais.
Je m'aperçois que tu ne m'as jamais appelée par mon prénom, parce que tu appeles toutes les femmes "ma belle".
Au moment où je t'écris, je sais déjà que tu as dit sans doute à M qu'elle était celle que tu attendais depuis longtemps, comme tu as du le dire déjà à tant de femmes avant de me le dire à moi. Le plus étrange, c'est qu'il n'y a plus de jalousie en moi, aucune. Simplement une prise de conscience aigue de ton incapacité à m'aimer, et peut-être, à aimer tout court.
Le plus terrible est que, sans doute aussi, tu vas m'écrire que j'ai choisi pour toi, essayant inconsciemment peut-être d'ajouter de la culpabilité à ma tristesse. Tu as déjà commencé hier en me disant que je faisais la connerie de ma vie en te demandant de partir pour ne plus revenir.
Je crois au contraire que j'ai fait ce que je devais faire, pour moi, pour mes enfants, pour me tenir éloignée de la perversité avec laquelle tu sais te faire aimer... sans aimer en retour.
C'est très étrange ce que je ressens, comme un grand soulagement d'avoir eu la force de te résister, et une tristesse immense. Peut-être a t-il suffi pour que je comprenne rétrospectivement qui tu étais, que tu me parles de ce petit lien que je porte au poignet et que tu avais le fantasme de couper, par pur panache. Le panache ! La provocation, le culte de la différence, comme tout cela est en toi ! la faculté de ne jamais rien faire comme tout le monde. Comme c'est facile de se définir comme un électron libre de cette façon là !
La perversité selon Machiavel, c'est tout un programme....politique. J'ai parfaitement intégré ta notion de la perversité, rassure toi. Ce qui est profondément troublant avec toi, c'est que Narcisse élève des orchidées...
L'ombre qui a recouvert mon coeur hier est malgré tout une ombre douce, c'est le souvenir de cet espoir fou d'avoir rencontré un homme que je pouvais aimer définitivement, que j'aimais déjà si fort et avec tant de sincérité, dont la subtilité et l'amour du beau avaient touché mon âme. Ce que j'ai entrevu de toi, c'est la lumière, la lumière de l'amour partagé, profond, qui aurait pu grandir si ta folie était aussi douce que la mienne. Mais ta folie n'est pas douce. Tu es un homme dangereux autant que délicieux.
Oui, tu es un homme délicieux, un homme de goût Olivier. et jamais je ne renierai ce que je t'ai écrit à propos de ta maison, de tes rituels, de la perfection avec laquelle tu te construis un univers personnel, jour après jour dans ta maison, avec sur tes murs, les représentations de ton éternel fantasme, LA FEMME . Cette femme n'existe pas. Elle n'est pas vivante, elle n'est pas faite de chair et de sang. La femme dont tu rêves n'existe que dans ta tête. Elle est toutes les femmes que tu rencontres, que tu séduis, que tu fais craquer en invoquant ta fragilité, et que peut-être tu détruis un peu.
Pauvres femmes ! Si naïves, si facilement manipulables ! Je voudrais bien que tu me fasses disparaitre de ta page FB. Je n'irai pas voir, je suppose d'ailleurs que tu as du me bloquer, ça ne m'étonnerait pas de toi. Rassure toi, je ne t'enverrai rien, plus jamais. Je t'ai retiré de la liste de mes amis, car tu n'es pas mon ami, tu étais mon amour, mon amant, ma joie, mon espoir. J'efface les traces de cet espoir, car il est mort hier.
Il y a à présent dans ta maison deux souvenirs d'une femme, une orchidée et un dessin. Vanda a trouvé sa place, dans la lumière, et je sais que tu trouveras une place de choix pour le petit squelette et sa douce auréole...
Je te souhaite de tout mon coeur, sans aucune rancune, de mettre un terme à ton errance affective. J'espère aussi un jour rencontrer celui qui m'aimera vraiment, telle que je suis.
Parce que je suis un être conscient, je suis consciente de tes failles, des traces laissées par les tourments et les souffrances passées. A aucun moment je ne suis dupe de la délectation presque inconsciente et un peu malsaine que tu as du ressentir hier à me faire si mal ! Laisser ce message d'une autre femme séduite par toi sur mon ordinateur est une des choses les plus cruelles qu'un homme m'aie faites ! De la perversité pure, ou de la lâcheté ? Je ne le sais pas, et je ne le saurai sans doute jamais vraiment, tes arguments d'hier n'étaient guère convaincants pour mon esprit rebelle à la facilité.
Le jour se lève. Mon premier jour sans toi, depuis des semaines ....
Je vais devoir attaquer cette journée en donnant le change à mes enfants. Nino m'a demandé hier soir quand il pourrait te voir. Je suppose que Lili lui a dit à quel point tu étais sympa. Elle a, elle aussi, en te croisant samedi, ressenti le naturel désarmant avec lequel tu as pris ta place dans la vie de sa maman et elle a communiqué à son frère jumeau l'envie de te connaître. C'est terrible.... C'est ça sans doute le plus terrible pour moi ce matin.
Leur cacher que la belle histoire est finie, à ces deux soleils qui ont tant envie de voir leur maman heureuse ! Je leur ai dit que nous n'avions pas prévu de nous revoir avant un mois.
D'ici là, je trouverai bien un moyen de les amener petit à petit à comprendre qu'ils ne te reverront pas. Je trouverai les mots, et sans doute la douleur s'atténuera, cela me permettra d'aborder le sujet avec moins d'émotion, les larmes ne sont jamais loin quand je pense à toi.
Mais je sais que ça ne durera pas.
Un nouveau jour commence, sans toi, mais la sérénité est là, qui pointe son nez en même que je jour qui se lève.
Je t'embrasse.
Françoise