- Maman, je trouve plus mon catalogue de Noël !
- T'inquiète, il va y en avoir au moins quinze dans la boîte aux lettres aujourd'hui !
- Ouais ! Chouette !
- Pfff...
30 novembre 2010
28 novembre 2010
Largage dominical#17
Il n'y a de terrible en nous et sur la terre et dans
le ciel peut-être que ce qui n'a pas encore été dit. On ne sera
tranquille que lorsque tout aura été dit, une bonne fois pour toutes,
alors enfin on fera silence et on aura plus peur de se taire.
Ça y sera.
Ça y sera.
Louis-Ferdinand Celine
25 novembre 2010
Cabossée
Depuis cet été je la vois tous les jours. Elle fait la plonge au snack et je n’ai jamais vu quelqu’un travailler si
vite. Un véritable ouragan. Les piles de vaisselle sale accumulées en début de service disparaissent comme par magie sous ses mains agiles en l’espace de quelques
minutes.
Depuis quelques jours, elle ne peut plus travailler. Une peine de cœur, m’a-t-on dit. En
prenant le soin de rajouter « Comme d’habitude »
Ce comme d’habitude me fait mal pour elle. Je sais que dans le
village, sa vie un peu bousculée est connue de tous. Elle semble s’en moquer et mène sa
barque tumultueuse entre rires et pleurs, problèmes de fric et petits boulots, en trimballant ses deux mômes dans sa galère.
Elle s’est installée à la dernière table au fond sur la
terrasse.
Elle commande un double Martini. Son visage est défait et
ses yeux rougis témoignent de ses nuits sans sommeil.
Elle semble anéantie et le peu que je sais d’elle me laisse
penser que ce n’est pas la première fois qu’elle s’attache à un homme qui met fin à la belle histoire après quelques jours. Je pense à ses fils avec lesquels elle semble
si complice. Son aîné est passé hier et j’ai eu l’impression qu’il était un peu perdu.
Je lui apporte une assiette à laquelle elle touche à
peine, déchirant les aliments avec sa fourchette sans presque rien avaler. Elle allume cigarette sur cigarette, l'oreille collée à son cellulaire.
Je me souviens d’elle le lendemain de leur rencontre. Elle était
rayonnante. Après quelques jours,
elle débordait d’énergie. Elle y croyait, elle voulait tout changer dans sa
vie, prendre un appart, lui faire une place dans sa vie. J’avais été un peu
sonnée de la voir si amoureuse au bout de quelques nuits. Ses yeux brillaient et elle évoquait un mutuel coup de foudre. J'étais contente pour elle.
En quelques mots, je comprends que son prince charmant s’est
transformé en un être menteur et fuyant qui n’ose pas lui dire qu'elle s'est un peu emballée, ou qu'il s'est trompé, ou qu'elle n'est qu'une belle de plus à son tableau de chasse. Ce qui est fort possible au vu des sourires charmeurs et insistants qu'il m'adresse quand il vient déjeuner. Elle vient de le
comprendre et je lis dans ses yeux une peine qui se transforme en fureur lorsqu’elle déchire en mille morceaux la photo qu’elle
devait il y a à peine quelques heures regarder amoureusement.
Je n’ai pas le cœur de lui lancer l’éternel « Allez ma
Belle, un de perdu, dix de retrouvés » que ne manqueront pas de lui servir ses potes. Je voudrais juste être capable de trouver les mots pour la consoler vraiment.
19 novembre 2010
Brève de Noël
Mon fiston parcourt avec attention les prospectus qui commencent à inonder notre boîte aux lettres et flashe sur une énorme coffret de Lego dont le prix me fait presque dresser les cheveux sur la tête.
- Tu voudras pas me l'acheter pour Noël alors ?
- Non.
- T'as pas assez d'argent ?
- J'en gagne assez pour qu'on ne manque de rien. Et c'est bien comme ça. C'est pas parce qu'on a de l'argent qu'on est heureux. On est juste plus détendu quand on ne court pas après.
- Ah ! je suis d'accord avec toi Maman, c'est pas avoir de l'argent qui me rend heureux, c'est ce que je m'achète avec !
Il a de la suite dans les idées, ce petit...
- Tu voudras pas me l'acheter pour Noël alors ?
- Non.
- T'as pas assez d'argent ?
- J'en gagne assez pour qu'on ne manque de rien. Et c'est bien comme ça. C'est pas parce qu'on a de l'argent qu'on est heureux. On est juste plus détendu quand on ne court pas après.
- Ah ! je suis d'accord avec toi Maman, c'est pas avoir de l'argent qui me rend heureux, c'est ce que je m'achète avec !
Il a de la suite dans les idées, ce petit...
16 novembre 2010
Relais
J'ai lu ce texte ce matin chez Mendelien
C'est un bien bon texte, je trouve. Qui résume assez bien ce que peuvent ressentir parfois ceux qui vivent les yeux ouverts.
Je suis un chien
Mon chien n’est pas très intelligent.
Et
foncièrement, je ne vaux guère mieux. Ce n’est pas de la fausse
modestie, c’est tout à fait sincère. Je me dis même que c’est quasiment
insultant pour mon chien d’oser la comparaison.
Objectivement,
je me considère comme un être frustre et dépourvu des qualités que l’on
doit avoir pour faire un quelconque travail intellectuel. Pour tout
dire, je trouve le travail d’écriture fastidieux et souffrant. Et
j’aimerais me passer de ce travail comme j’aimerais me passer du travail
tout court. En fait, j’aimerais jouer de la guitare, chanter des tounes
thrippantes, baiser avec ma blonde, jouer avec mes enfants pi
m’chrisser de toutte comme bin du monde. Mais
j’entends tant de conneries, je suis submergé par tant de misère issue
de désert intellectuel dans lequel je vis, que je me dis qu’il me faut
faire quelques choses. Et chaque fois, c’est le chemin de croix.
Malgré
tout, je me considère comme un gros travaillant. Comme au hockey. Un
gars sans talent qui travaille fort dans les coins pour emmerder la
grande vedette plein de style, un peu imbue d’elle-même, celle qui
frustre quand on l’empêche de faire des sparages et compter des buts et
qui, parfois, par son arrogance, fait perdre son équipe. En tant que
spectateur, j’ai toujours apprécié ces deux sortes de joueurs avec la
même intensité et j’ai toujours considéré le travail de Bob Gainey aussi important que celui de Guy Lafleur.
Intellectuellement, donc, je me considère comme un genre de sous-Bob Gainey et je me sens pas si loin de mon chien. Et il
est vrai que je me dis souvent que, spirituellement, mon chien a
quelque chose de plus que je n’ai pas. Une honnêteté de chien qui, à la
longue, finit par forcer mon admiration. Surtout quand je me rends
compte à quel point je parle pour ne rien dire. À quel point je gaspille
ma salive. À quel point je m’illusionne sur la nécessité du « débat »
avec mes contemporains.
Wouaf Wouaf ! Ostie
de chien du voisin ! dit mon chien. Vas-t-en, ! T’es sur mon territoire.
M’as te mordre, mon maudit, si jamais j’ai une chance de m’échapper !!!
Mais,
y’a rien à faire, j’arrive pas encore, après toutes ces années
d’errances intellectuelles, à avoir la sagesse honnête de mon chien.
Mais parfois, je sens que je suis sur le bord d’y arriver. Surtout quand
je ressens, jusqu’au fond de mon être, l’absurdité des paramètres du
consensus dans lequel nous baignons, tous et chacun autant que nous
sommes, pour interagir en société, y compris entre membres d’une même
famille qui essaient de s’aimer inconditionnellement, en ces temps de
grande dépression qui n’ose même pas dire son nom.
Ces
maudits paramètres de consensus terribles devant lesquels on doit se
plier si l’on veut survivre sur le plan affectif, pour être aimé et se
sentir accepté par nos proches, nos amis, nos voisins, nos collègues et
même pour se survivre à soi-même dans les paradoxes de notre culture.
Parfois, il me faut assister,
avec des proches ou des collègues, à une conversation qui tourne autour
de certains sujets litigieux et, malgré que mes oreilles bourdonnent,
j’essaie de protester modérément pour ne pas froisser les gens, pour ne
pas que tout tourne en eau de boudin. Et j’entends à travers les
tampons, tous les discours fielleux de la droite et ceux, plus pervers,
de la pseudo-gauche qui pénètrent les esprits jours après jours, petit à
petit. En voici quelques exemples :
-Barback Obrama est un grand intellectuel, c’est pour cela que les gens ne l’aiment pas. Le peuple rejette ses réformes à cause de sa trop grande stature et non pas parce que c’est un véritable mange-merde, un pseudo-joueur
de basketball préparé par la CIA depuis des années à remplir sa
fonction de trou du cul exterminateur de peuples et profanateur de vie.
-Amyr
Khadir est un homme pragmatique dont l'action va mener, à force
d’éducation populaire, à des réformes appropriées pour sortir le Québec
de l’impasse et non la marionnette inconsciente de Paul Desmarais pour
écrabouiller le Parti Québécois. Et fuck les leçons de Machiavel, les
sacrifices de Bourgault, les remontrances de Falardeau! Over their dead
bodies ! Il faut bien vivre pour les vivants n’est-ce pas ? Et même pour
les peuples morts-vivants… Et faire taire les revanchards passéistes
empêcheur de faire semblant d’espérer en rond.
-
La bourse du carbone est une chose rationnelle qui va améliorer le
bilan énergétique de la planète et non pas une arme de plus pour les
Rockfeller de ce monde pour faire encore plus de fric en transformant la
biosphère en dépotoir pétrolifère irrémédiablement souillée. La
fermeture de la bourse actionnariale, d’un autre côté, c’est absolument
impossible de l’envisager sérieusement.
-Les parents se crissent de l’école parce qu’ils sont égocentriques, consuméristes et irresponsables. Ça
n’a ABSOLUMENT rien avoir avec le démantèlement de l’état, la
délocalisation des entreprises, l’équarrissage de la
classe-ouvrière-qui-n’existe-plus ou le décervelage de la classe
moyenne. Ce n’est pas du tout un problème collectif mais d’abord, un
problème de responsabilité individuelle.
Et
puis autour de tous ces tampons bien intégrés désormais chez tout ces
gens sincères, besogneux, honnêtes, il y’aussi, bien sûr, en toile de
fond, l’éternelle propagande lancinante, la pure
et dure: Lénine et Guevarra, dans le même sac. Les olympiques de Pékin
de 2008 renvoyés dos à dos à ceux de Berlin de 1936. La liberté
d’expression en Iran, les femmes voilées d’Afghanistan, la démocratie en
Irak, la révolution des roses de Géorgie, la révolution orange en
Ukraine, la révolution des tulipes au Kyrgyzstan. Ne manque que la
révolution arc-en-ciel des lesbiennes handicapées de Papouasie du
sud-est
Y’au aussi les livres noirs. Le
livre noir du communisme, de l’islamisme, du terrorisme, du complotisme,
du onze-septembrisme. On dirait que tout ce bruit assourdissant est
présent dans la conversation, en filigrane, comme une menace…
Et
là, au bout d’un certain temps, je me sens partir loin. Je me vois
flottant au-dessus de la pièce avec une voix off intérieure qui
commenterait, comme dans un genre de mauvais rêve :
-Non
mais vraiment ? Vous êtes en train de me dire ça à moi, ici,
maintenant, en 2010 ? Vous vous croyez ou vous faites semblant ? Vous
avez lu Huxley et Orwell et vous dites que ce ne sont que des romanciers
? Ou alors, vous dites qu’ils décrivent la réalité, alors qu’en même temps, on dirait que vous ne les avez pas lus ?
Et
je me vois, moi aussi, en train de dire plein de trucs imbéciles comme
si je ne les avais pas lus ces auteurs. Pour fitter un minimum dans les
paramètres. Parce que, malgré toute ma vigilance, je suis, moi-aussi, un
haut-parleur à tampon, un adepte de la pensée-double. Merde ! Je suis
dans 1984 !!!!
Mais malheureusement, je ne me réveille pas.
Et
la discussion peut continuer comme ça avec des nuances variables mais
qui conduisent invariablement vers des culs-de-sac de plus en plus
désespérants.
Si je m’oppose au tampon du progrès, on me rétorque que
le progrès de l’humanité est indéniable parce que, statistiquement,
l’individu vit plus longtemps, ou que la santé gratuite est un progrès
«civilisationnel» irréfutable. Si le délire pousse plus loin, un tel me
dira qu’il n’échangerait sa place pour rien au monde avec ces différents
ancêtres, que c’est mathématiquement erroné, un délire paranoïaque,
d’oser affirmer que, qualitativement, l’humanité, à partir de la deuxième guerre mondiale, a régressé sur tous les plans et particulièrement sur celui de la dignité.
Et pourtant, il y’a plus de cent ans, déjà, que Zola, après une vie entière dédiée à la cause de la classe ouvrière dans la foulée des grands espoirs engendrés par
les progrès techniques qui promettaient de la soulager de la misère,
admettait, sur son lit de mort, qu’il avait fait fausse route sur toute
la ligne. Aujourd’hui qui se soucie de Zola ? Tout le monde s’en
contre-chrissent de Zola et « tout le monde » a probablement raison. Il vaut peut-être mieux revenir à la prière finalement, tant qu’à faire du sur-place aussi pathétique.
Si
on est un jeune écologiste, on essaiera peut-être de me vendre encore
une fois l’argument de la bourse du carbone digne d’une sinistre farce
ubuesque qui mérite à peine une ligne dans une comédie de Gilbert Rozon.
Si on me connaît bien, on évitera plus stratégiquement le sujet.
Alors je me dis : bravo à vous, les
intellectuels de la gauche!!! Quel beau travail d’éducation populaire
vous avez fait ! Êtes vous des putes ou des imbéciles ? Vous avez fait croire à tout un chacun que vous alliez sauver les meubles de la sociale-démocratie et sauver le petit peuple de ses errances en le responsabilisant ! Vraiment,
quelle éclatante victoire. ! Et vous n’avez rien trouvé de mieux à
faire ? Vraiment ? Rien de plus urgent que de vendre des agents de la
CIA comme des sauveurs de l’humanité ? Que de jouer dans les
plates-bandes de la droite dans des pseudos-débats pour vous sentir
utile? La classe moyenne se conforte ainsi dans vos injonctions éthiques
de pacotilles dignes du Pinocchio de Walt Disney. Et la
classe-ouvrière-qui-n’existe-plus, elle, réagit violemment en Bougon qui
se respecte, en s’en côlissant bin raide ou en écoutant les chants du
sirène de l’extrême-droite qui chient, à pleine page et à
coeur de jour dans les médias de PKP, des relents de déjà-vu putrides.
Et vous vous étonnez de la progression fulgurante des gagnes de rues
!!!!
Je ne fais pas exprès. Ça ne me fait
pas plaisir. Je ne joue pas au radical qui se complait dans
l'idiosyncrasie et le désespoir romantique. Je ressens le désespoir
jusque dans les tréfonds de mon être, du réveil au coucher, en essayant
de confronter le peu de culture que j’ai essayé d’absorber au cour de ma
vie, à la réalité vécue quotidiennement à travers les paramètres du pseudo-débat social et du comportement de tout un chacun, y compris du mien.
Tout ce chemin pour ça ? De l’âge des cavernes à Einstein pour en
arriver à soutenir, sans rire, que Barrack Obama est un grand
intellectuel réformateur ?
Moi, je préfère
encore l’âge de pierre. Je préfère encore la massue. Sans artifice.
Brutale, simple et directe. Sans université pour enrober le débat
fondamental de l’oppression. Et surtout sans osties de bombes nucléaires
et de doctrines hallucinées du pseudo-équilibre de la terreur. Plutôt
mourir entre les dents d’un loup, d’un lion ou sous les machettes des
«barbares ». Plutôt brûler les bibliothèques, éviscérer la Kulture.
J’aurais préféré mille fois cette brutale bestialité franche que la
psycho-pathologie de la culture occidentale du XXIème siècle.
Du
point de vue du futur de la vie sur terre, l’inquisition du moyen-âge,
la conquête espagnole, la civilisation industrielle, n’auront été que
des petites fièvres bénignes en comparaison des
métastases cancéreuses qui prolifèrent sous le vernis des discours des
partis républicains ou démocrates, des publicités de Wall-Mart, des
tounes de Céline Dion, des émissions de Julie Sneider ou du sôvage de meuble de la pseudo-gauche efficace avec son humanitarisme larmoyant. Le progrès ? Quel progrès?
Finalement, pour
la première fois, j’ai l’impression de comprendre Léo Ferré dans « il
n’y a plus rien », au lieu de seulement ressentir sa révolte.
Je suis un chien !!!
Finalement.
Je comprend mon chien. Profondément. Je comprends son flair pour
détecter la merde. Finalement, je comprends qu’il est impossible de
résoudre la quadrature du cercle et de se faire accroire que le dialogue
est possible à l’intérieur des paramètres de cet esclavage mental
complètement halluciné qui nous terrorise, nous conforte ou nous
révolte.
Je suis un chien.
Comme il disait, le vieux Ferré.
Attention, parfois je mords.
Mais parfois, aussi, je remue la queue. Je donne la papatte et je peux
même vous lécher la joue…si on arrête de parler et qu’on écoute ensemble
quelques minutes le chant des étoiles.
Peut-être que finalement, vous vous rendrez compte, que, comme mon chien, je ne suis pas très intelligent. Mais qu’au fond, comme lui, je ne suis pas bien méchant…
Chut….
Écoutez !
(....)
Les étoiles…
(...)
Elles parlent...
le même langage que les chiens…
Jean-François Thibaud
Lundi 16 novembre 2010
15 novembre 2010
la gauche et la gouvernance mondiale
Entendu ça ce matin dans le poste.
Une interview de Dominique Strauss Kahn, super-hyper-président du FMI (sauveur du Monde) et -ça s'entend pas beaucoup, je vous le concède- homme de gauche.
Probablement notre futur président, j'en ai bien peur.
Edifiant non ?
Dominique Strauss-Kahn
14 novembre 2010
La chute
Aux beaux jours, Momo se pose tous les matins en
terrasse. Elle arrive à fond dans son fauteuil et il ne se passe pas un jour
sans qu’elle renverse les verres de la table d’à côté en arrivant trop vite dans
son engin motorisé. Ludo le lui fait remarquer et ils se chamaillent. C’est
comme un rituel entre eux et je la soupçonne de le faire exprès pour qu’il
s’occupe d’elle et vienne plus vite lui faire la bise du matin en ramassant ce
qu’elle a fait tomber. Elle demande un café, et attend tranquillement l'heure du déjeuner en lisant le journal.
Ce jour là, il fait frisquet. La Momomobile est garée devant la porte. Le nouvel accès
handicapé n’est toujours pas posé. Dès que ce sera fait, elle pourra enfin aller et venir
en utilisant la rampe, mais en attendant, elle ne peut pas passer la marche et
il faut la soutenir pour qu’elle fasse quelques pas et puisse s’installer à l’intérieur.
Elle remue son café en silence. Ses traits sont un peu
tirés.
- Salut Momo ! T’en fais une tête, ça va pas ?
- Non. J’suis en vrac. Et j’ai encore fait une bêtise !
- Allez raconte, t'as inondé ta salle de bains ?
- ....
Ce matin, c'est pas gagné pour la faire marrer.
- Non. Hier soir, j’suis tombée de mon lit !
- Ah ! Merde ! T’as pas pu y remonter ?
Depuis des années une infirmière vient chaque jour la
lever et l'habiller, puis revient la déshabiller et la coucher. Elle
peut relever son lit à télécommande - sa game boy comme elle dit - mais
une fois allongée, elle ne bouge plus jusqu'au matin. Elle peut tout
juste se lever de sa chaise en s’accrochant à son déambulateur. Alors se
relever d’une chute…
- Ben non. J’ai tiré sur ma couette et j’me suis enroulée
dedans comme j’ai pu. J'étais trop loin du téléphone...J'suis restée par terre jusqu’à ce que l’infirmière
arrive.
- Tu t’es pas fait mal en tombant au moins ?
- Non. Mais j’ai pas fermé l'oeil. J'aurais bien pu crever là toute seule!
- ...
- Et en plus, ce matin il a fallu
appeler les pompiers. L’infirmière pouvait pas me soulever !
- Ben, c’est vrai que t’es lourde !
J’en sais quelque chose. La seule fois j’ai voulu l'aider à quitter son fauteuil, j’ai failli tomber avec elle tellement j’ai été surprise
par ses 80 kilos !
- Va falloir que je te mette au régime toi ! lui lance
le chef en lui apportant son assiette.
La moitié mobile du visage de Momo s'éclaire d'un sourire.
- Ca, c’est ce que me dit toujours ma fille!
- Elle dit ça ta fille ?
- Ouais. A chaque fois que je la vois, elle me dit que j’ai encore
grossi. Et j'me fais engueuler.
- Ben, t'auras qu'à lui dire que tu te mets au régime après Noël ! Tu vas toujours à Paris?
- Ah ! ça je sais pas, c’est pas sûr qu’elle soit là cette
année. Ils vont peut-être partir au ski.
- L’année dernière, ils étaient où déjà?
- Me rappelle plus.
Au ski.
J’y avais pas pensé.
Imparable.
13 novembre 2010
09 novembre 2010
Goncourt 2010
« J’essaie de ne pas avoir de style ; idéalement, l’écriture devrait
pouvoir suivre l’auteur dans les variétés de ses états mentaux, sans se
cristalliser dans des figures ou des tics. »
Michel Houellebecq
Michel Houellebecq
08 novembre 2010
Jeff
Il vit seul dans son appartement au-dessus de mon restaurant. Il
m’a expliqué un jour que son corps déformé est un handicap de naissance. Il n'a jamais pu travailler. Ses parents lui ont laissé suffisamment d’argent pour vivre sans en manquer jusqu’à la fin de ses jours.
Son allure étrange et son élocution difficile sont
accentuées par les pastis qu’il descend à longueur de journée.
J’ai appris peu à peu à décrypter ses messages verbaux un
peu flous. Il marmonne la plupart du temps et crie de sa fenêtre sur les
passants quand il a trop bu. Il a souvent trop bu.
Il vient déjeuner de temps en temps. Je lui ai conseillé d’éviter de brailler lorsqu’il est chez moi et je commence à le connaître suffisamment pour mesurer son ivresse et refuser de lui servir encore à boire sans qu’il fasse un scandale.
Il vient déjeuner de temps en temps. Je lui ai conseillé d’éviter de brailler lorsqu’il est chez moi et je commence à le connaître suffisamment pour mesurer son ivresse et refuser de lui servir encore à boire sans qu’il fasse un scandale.
Il s’est offert une voiture adaptée à son handicap et part le
matin battre la campagne. Je me demande parfois comment il fait pour ne pas
s’envoyer dans les décors quand il revient dans sa voiture boueuse et pleine de bosses. Il rentre souvent dans un état
second et manoeuvre tant bien que mal sur l’emplacement que la municipalité a
mis à sa disposition en bas de l'immeuble.
Il trouve régulièrement une voiture stationnée sur sa place de
parking lorsqu'il rentre le soir. Il passe au restaurant pour y chercher celui ou celle qui
squatte l'emplacement réservé. Il essaie quelquefois de me demander un verre, mais je lui réponds invariablement qu'il a assez bu, et il repart se chercher une place un peu plus loin. Lorsqu'il ne descend pas de sa voiture et que je l'entends klaxonner comme un dingue, je comprends qu’il est vraiment très saoul et très énervé et qu’il ameutera
tout le quartier jusqu’à ce que l’indélicat voisin descende et aille se garer
ailleurs.
Ce soir là, le restaurant est plein. La porte s’ouvre et Jeff
entre, échevelé plus qu’à l’habitude. Il s’est pissé dessus et s’appuie sur la
porte pour ne pas tomber.
Les regards des clients convergent instantanément vers ses yeux un peu fous et glissent gênés vers son pantalon beige trempé jusqu’aux genoux. Il
titube, braguette ouverte.Je m’avance vers lui et lui lance à voix basse :
- Eh ben, dis
donc ! tu t’es lâché aujourd’hui ! Y a encore quelqu’un qui s’est garé à ta
place ?
- J'veuuuux mmmangerr…
- Jeff, vu ton état, c’est pas possible.
- Mmmangeeeerrr…
Je l’attrape par le bras et le force à sortir.
- T’es trop saoul pour que je te laisse entrer.
- Tu vvvveux pas m’servirrrrrrr ?
- Non, je ne veux pas te servir. Tu connais les règles.
- T’essssss une ssaloppe !
- Moi, je suis une salope?
- Ouaiiiiiiiiiiiis. Saaaaaaaloooooopee.
- On en reparlera demain.
- Heee d'façon, cheez toi, c'est trooo cheer!
- Oui, c'est ça. Allez, rentre chez toi maintenant.
Il part en zigzaguant, après avoir explosé et envoyé valser dans la
rue l’ardoise du menu.
Je le suis des yeux jusqu’à sa porte sur laquelle il
s’affale en maudissant la terre entière.
Il finit par trouver la serrure et j'entends un dernier
Saaaaloooopeee! retentir dans la cage d'escalier.
Demain, il aura sans doute tout oublié.
07 novembre 2010
Réverbère
Je n’ai pas vu la matinée passer, absorbée par l’envie d’écrire
qui est revenue depuis quelques jours. Je m'échine sur mon clavier dès que j'ai un peu de temps, oubliant presque de manger.
Il est pas loin de midi, et il me faut quitter mon
antre enfumé pour filer chez la boulangère et le légumier.
Le village ronronne tranquillement comme chaque dimanche des conversations
en terrasse à la sortie de la messe.
Le marchand de légumes me tend ma monnaie en souriant.
- Comment vas tu, Françoise ?
- Ca va bien.
- On ne voit plus beaucoup ton mari !
- Ah ! mais c’est parce qu’il est parti !
- Parti pour longtemps ?
- ...
- Il va revenir ?
- ...
- Il va revenir ?
- Je ne pense pas, non .
- Oh, t’inquiète, tu tapes du pied sur un bec de gaz, il va
en tomber plusieurs !
Ah ben il manquerait plus que je fasse tomber un perché !
Ah ben il manquerait plus que je fasse tomber un perché !
04 novembre 2010
Un dimanche chez Momo
Il y a quelques jours, Momo a mis le feu à sa cuisine. Elle me
raconte l’affaire de sa voix gouailleuse, lors de sa visite au snack où je suis
en train de finir les peintures pour la réouverture prochaine.
- Comment ça mis le
feu, Momo ?
- Ben, la fille qui
vient faire le ménage a laissé une friteuse en plastique sur une des plaques. Je me
suis trompée de bouton…et ça a fondu !
- Une friteuse en
plastique ?
- Une friteuse électrique avec du plastique. Tu verrais ça ! Ma cuisine est
toute noire ! J'ai balancé de l'eau dessus, mais je peux pas nettoyer la gazinière, c’est tout
collé !
- Bon. Ecoute, demain je viendrai voir ce
que je peux faire. Je t’appelle.
- Merci ma petite poule, t’es gentille.
Il pleut des cordes quand j’arrive chez Momo le dimanche matin.
Elle est devant sa télé. Elle a sorti une bouteille de vin
cuit de son frigo et l’a posée sur la table.
L’appartement de Momo est pas mal sympa. Elle a attendu 10
ans pour pouvoir s’installer enfin dans un logement HLM adapté à son handicap.
Les murs du coin cuisine sont vraiment noirs, et les plaques électriques baignent dans un mélange de plastique fondu et d'eau. C'est un vrai désastre ménager!
Je ne sais pas combien de temps ça lui a pris pour
sentir l’odeur de plastique brûlé qui imprègne encore toute la pièce. Elle a dû
s’endormir ou perdre la notion du temps.
- Eh ben dis-donc, t’as pas fait semblant !
- J’l'ai pas fait exprès!
- T’as eu de la chance de pas t’endormir longtemps, t’aurais pu mourir
asphyxiée !
- Ouais, je sais. Bon, tu fais ce que tu peux, t’embête pas
trop quand même.
Sa cuisine est vraiment dans un sale état . Non seulement c'est noirci presque partout, mais des
assiettes sales traînent dans l’évier et un
reste de pot-au feu à moitié moisi flotte dans une gamelle.
- Momo, qui te fait à manger et la vaisselle ?
- Ben la femme de ménage, mais là c’est férié,
alors j’ai personne avant mercredi. Je peux pas faire grand chose avec
une seule main.
Je fais la vaisselle, et j’attaque la
grande lessive. La fumée a encrassé le crépi en profondeur. L’émail du couvercle
de la gazinière a brûlé. Je frotte, je gratte. C’est une catastrophe au niveau déco,
mais c’est propre. Il faudra repeindre pour effacer les traces du
sinistre que Momo n’a pas voulu déclarer à son assurance. Peut-être qu’elle ne l’a pas
payée. Je n’ai pas trop envie de lui poser la question.
Je vérifie que rien ne disjoncte quand je rallume les plaques et le four.
- Bon. C'est pas génial, faudrait trouver quelqu'un qui vienne donner un coup de peinture.
- Ben, je demanderai à Alain. Merci. J'peux m'en servir maintenant de la plaque ?
- Oui, j'ai tout enlevé, ça fonctionne, mais tu fais gaffe hein ?
- Faudrait que j'me prépare un truc, je commence à avoir faim.
- Tu veux manger quoi ?
- J’sais pas, y a plein de bouffe dans le congel. On se fait un petit muscat ?
Va pour le muscat. On fume une ou deux cigarettes et elle me
raconte.
La femme de ménage vient trois fois par semaine. Deux heures
à chaque fois. Vu l’état du sol, elle ne doit pas savoir où se branche l’aspirateur ni où se range la
serpillière. Momo bénéficie des services d’une association
pour ces 6 heures de nettoyage de son appart. Ca lui coûte 500 euros par mois.
Je fais rapidement le calcul . Elle l’a fait aussi, elle sait bien qu’elle
se fait arnaquer, mais elle n’a pas vraiment le choix. L’Association lui a été plus
ou moins imposée par les services sociaux, d’après ce que je comprends. Je n’insiste
pas.
Dans le congel de Momo, je trouve plusieurs kilos de
crevettes et de friture de petits poissons, des coquilles Saint-Jacques, du
poulet, du poisson pané, pas un seul sachet de légumes, des frites à gogo, de
la crème glacée et de la tarte aux pommes.
- Oh ! ben tu risque pas de manquer de frites !
- Sauf que maintenant j’ai plus de friteuse !
Elle rigole.
- T'as du gaspacho, tu veux que je t’en prépare un
peu ?
- Nan, j’aime pas ça.
- …..
- Jette le, faut que j’fasse de la place, le livreur de
surgelés passe mardi livrer ma commande.
- Mais des surgelés, y'en a plein Momo ! Pourquoi t’as
passé une commande alors que c’est
bourré à craquer ?
- Ben, c’est comme ça, il passe le mardi, tous les quinze
jours.
J’ai subitement la sensation que question racket facile, Momo est entre de
bonnes mains…
Je repense à l’assistance sociale qui lui fait
la morale parce qu’elle claque ses sous au snack. Elle devrait plutôt
venir jeter un coup d’oeil sur l’état de la maison après le passage de la
ménagère de SOS Ménage où calmer l’ardeur du vendeur de SOS Produits surgelés. Momo se marre comme une baleine en m'écoutant râler.
Je sors des crevettes, des Saint-Jacques, du saumon fumé
et je prépare un déjeuner que nous partageons en regardant la télé.
Je lui prépare du café pour sa journée.
- Ah ! ça fait longtemps que j’avais pas mangé comme ça
un dimanche !
Et pour cause, le dimanche, la cantine est fermée.
- Tu veux pas me faire chauffer un petit morceau de tarte ?
Deux cafés et deux morceaux de tarte plus tard, je repars en la laissant seule devant
sa télé.
Je ne sais pas vraiment pourquoi je me sens coupable, tandis
que j’essuie sur mes joues les larmes rageuses se mêlant à la pluie qui tombe toujours
aussi fort.
03 novembre 2010
02 novembre 2010
l'Amour en cage
Mon coeur s'est pris à tes épaules
Mon coeur s'est pris à tes yeux gris
Le soleil s'est éteint
Et la neige est tombée
J'ai eu froid sans mon coeur
Rends-le moi
Mon coeur tremblait dans tes mains calmes
Mon coeur tremblait contre le tien
Les oiseaux se sont tus
Et les fleurs ont pâli
J'ai si froid sans mon coeur, rends-le moi
Ne le mets pas dans une cage
Il va mourir comme l'amour
Laisse-moi courir les rues
Laisse-moi vivre au fil des jours
J'ai mis le bonheur à la porte
Et j'ai brisé tous ses anneaux
J'ai laissé les baisers
J'ai cassé les serments
Et j'enferme mon coeur avec moi
Demain, demain je serai seul
Dans le silence de ma vie
Me prendra le hasard
M'aimera qui voudra
Mais j'enferme mon coeur avec moi
Je serai libre dans ma cage
Je serai libre avec mon coeur
Et j'irai courir les rues
Les rues de rêve
Où vont mes amours
Boris Vian
Mon coeur s'est pris à tes yeux gris
Le soleil s'est éteint
Et la neige est tombée
J'ai eu froid sans mon coeur
Rends-le moi
Mon coeur tremblait dans tes mains calmes
Mon coeur tremblait contre le tien
Les oiseaux se sont tus
Et les fleurs ont pâli
J'ai si froid sans mon coeur, rends-le moi
Ne le mets pas dans une cage
Il va mourir comme l'amour
Laisse-moi courir les rues
Laisse-moi vivre au fil des jours
J'ai mis le bonheur à la porte
Et j'ai brisé tous ses anneaux
J'ai laissé les baisers
J'ai cassé les serments
Et j'enferme mon coeur avec moi
Demain, demain je serai seul
Dans le silence de ma vie
Me prendra le hasard
M'aimera qui voudra
Mais j'enferme mon coeur avec moi
Je serai libre dans ma cage
Je serai libre avec mon coeur
Et j'irai courir les rues
Les rues de rêve
Où vont mes amours
Boris Vian
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